L’indispensable notification du projet de cession de parts en SARL

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

Source  : Chambre Commerciale, 14 avril 2021, N° 19-16.468, Inédit

 

I – Les statuts de SARL doivent reprendre le strict cadre légal en vigueur pour ce type de société, lequel prévoit une procédure spécifique de cession des parts sociales appelée « L’agrément ».

 

Le code de commerce, dans ses articles L223-1 et suivants, prévoit la libre cession des parts dans les cas suivants :

 

  En cas de succession,

 

  En cas divorce, lors de liquidation de communauté d’époux,

 

  Entre conjoints, au profit de parents ou enfants, sauf à ce que les statuts y dérogent spécifiquement.

 

Pour la cession des parts à une tierce personne, la Loi impose l’obtention de l’agrément préalable, c’est-à-dire l’autorisation donnée par les associés de la Société.

 

Concrètement, lorsque la société comporte plus d‘un associé, le cédant doit notifier par écrit (en pratique soit par huissier ou par courrier recommandé avec accusé réception) son projet cession à la société et ses associés.

 

Cette notification est d’une importance capitale puisqu’elle sera le point de départ d’un délai de 3 mois, au terme duquel, à défaut de réponse négative ou positive, le cédant pourra considérer le consentement des associés comme acquis, et pourra réaliser son projet de cession librement.

 

En effet, à réception de cette notification, le gérant de  la Société doit convoquer une assemblée générale pour permettre aux associés de se positionner sur l’agrément.

 

  Si le gérant ne convoque pas, les associés ne répondront donc pas dans le délai de 3 mois, et le cédant pourra alors considérer l’agrément comme tacitement accepté.

 

  Si l’agrément est confirmé, la cession est réalisée, elle doit être signifiée (i) à la société pour lui être opposable, et (ii) enregistrée auprès des impôts. Le cessionnaire entre alors au capital de la SARL en lieu et place du cédant.

 

  Si l’agrément est refusé, les associés devront dans un même délai de 3 mois acquérir ou faire acquérir les parts (sauf si le cédant renonce à son projet), ou, envisager de réduire le capital de la société en conséquence.

 

Ce formalisme est prévu par des dispositions d’ordre public, c’est-à-dire que les parties ne peuvent décider d’y déroger, et c’est là tout l’enjeux de la notification du projet de cession.

 

II – A la base de ce contentieux, il s’agissait de deux associés d’une SARL, qui ont, par deux actes distincts, cédé l’intégralité de leurs parts.

 

Les cédants ont a posteriori assigné les acquéreurs en annulation desdites cessions, considérant que la procédure susmentionnée n’avait pas été respectée. Ils affirmaient en effet, qu’en leur qualité d’associé, ils n’avaient pas été notifié (par eux-mêmes) du projet de cession.

 

En quelques sortes, ils affirmaient qu’ils auraient dû, eux-mêmes, notifier le projet de cession aux associés sauf qu’en réalité, ces personnes sont les mêmes personnes physiques. (Les deux cédants étant alors les deux seuls associés)

 

Cette revendication, quoi que légèrement schizophrénique, obtient gain de cause auprès de la Cour d’Appel de PARIS, qui annule les cessions litigieuses pour défaut de notification préalable.

 

III – Un pourvoi est diligenté à l’appui des arguments suivants :

 

1 – « Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ».

 

Les acquéreurs considèrent comme étant mal venu, de la part des cédants de revendiquer leur propre carence dans le respect des dispositions impératives. Pour eux, nul ne peut réclamer justice si le dommage qu’il subit est causé par ses propres actions menées illégalement, ou issues de sa propre négligence.

 

2 – La cession serait « implicitement » notifiée aux associés.

 

Les acquéreurs considéraient que la notification préalable était implicite grâce à la convocation des associés à l’assemblée générale qui a statué sur l’agrément. Ces derniers auraient alors valablement consenti à la cession en votant, de manière favorable et unanime, à la résolution relative aux cessions.

 

Pourtant, que nenni !

 

La Chambre commerciale de la Cour de cassation les déboute en considérant que :

 

« Ayant relevé qu’aucune notification du projet de cession à la société et à chacun des associés n’était versée au débat et retenu qu’en raison du caractère d’ordre public de l’article L. 223–14 du code de commerce, il convenait de respecter scrupuleusement le formalisme légal, aucune confirmation implicite de la cession ne pouvant faire échec à l’annulation d’une cession effectuée en violation de ce formalisme, c’est à bon droit, (…) que la cour d’appel (…)  a prononcé l’annulation des cessions litigieuses ».

 

La décision des juges du quai de l’horloge s’inscrit dans le prolongement des précédentes décisions rendues en pareille matière.

 

La Haute Cour a d’ores et déjà considéré que :

 

  la seule intervention de l’associé du cédant à l’acte de cession ne suffit pas à répondre aux exigences de l’article L 223-14 du Code de commerce puisque ledit associé n’avait pas reçu la notification préalable indispensable, et que par ailleurs l’assemblée ne s’était même pas réunie.[1]

 

  le vice qui affecte la régularité de la procédure d’agrément, c’est-à-dire, le défaut de notification préalable de la cession à la société et aux associés, ne saurait être purgé par la lettre du gérant informant le cédant du refus de la société de consentir à la cession projetée [2].

 

Ainsi, la confirmation implicite de la cession ne semble pas pouvoir faire échec à l’annulation de la cession effectuée en violation des dispositions légales impératives.

 

Le formalisme imposé à peine de nullité, ne peut être remplacé par une formalité qui serait considérée comme étant équivalente. La notification préalable aux associés et à la société est donc une étape véritablement incontournable pour céder ses parts sociales.

 

A défaut, et dans un délai de 3 ans, les associés et/ou la société elle-même, peuvent agir en nullité en invoquant la violation de ces dispositions impératives.

 

En revanche, la jurisprudence écarte le cessionnaire quand il est tiers étranger à la société, il ne peut donc pas se prévaloir de l’absence de notification du projet de cession.[3]

 

[1] Chambre commerciale, 9 mai 1990, N°87.14.375.

 

[2] Chambre commerciale, 7 juillet 2004, n°00-22-411

 

[3] Chambre Commerciale, 11 février 1992, n° 89.14-596

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