Le principe de l’estoppel n’existe pas dans le contentieux de la légalité

Stéphanie TRAN
Stéphanie TRAN

  

SOURCE : CE 2 juillet 2014, Société Pace Europe, n°368590

 

Notion empruntée au droit anglo-saxon (notamment en droit de l’arbitrage international et du commerce international), et considéré comme « un principe selon lequel une partie ne peut se contredire au détriment d’autrui » par la Cour de cassation qui l’admet de manière limitée,[2], l’estoppel interdit à une partie, par devoir de cohérence, de se contredire au détriment de son adversaire.

 

Un tel comportement est en effet sanctionné par une fin de non-recevoir.

 

Si ce concept connaît un véritable essor en droit français depuis que l’Assemblée plénière s’y est référée, le Conseil d’Etat demeure quant à lui hostile à la reconnaissance de l’existence du concept.

 

En effet, après avoir clairement énoncé que le concept n’avait pas lieu de s’appliquer au contentieux fiscal[3], la juridiction administrative en fait de même, dans sa décision du 2 juillet 2014, s’agissant du contentieux de la légalité.

 

En l’espèce, la société requérante avait sollicité de l’Inspecteur du travail, comme il est requis pour les salariés investis de fonctions représentatives, l’autorisation de licencier pour motif économique un de ses salariés, membre titulaire de la délégation unique du personnel et délégué syndical.

 

L’autorisation de licenciement avait été accordée par l’Inspecteur du travail, lequel s’était fondé sur les motifs tirés de ce que l’intéressé aurait ” exprimé, au cours de l’entretien contradictoire, sa volonté ferme de quitter l’entreprise”.

 

Néanmoins, le salarié ayant sollicité devant les juridictions prud’homales la condamnation de son employeur à l’indemnisation de son préjudice consécutif au licenciement, l’entreprise avait soulevé, devant le juge administratif saisi de la question relative à la légalité de l’autorisation de l’Inspecteur du travail, la fin de non-recevoir tirée du principe selon lequel une partie ne pouvait se contredire au détriment d’autrui.

 

En effet, selon l’entreprise, le salarié ne pouvait à la fois manifester son intention de quitter l’entreprise, et solliciter des dommages et intérêts en vue de l’indemnisation d’un préjudice qu’il aurait lui-même provoqué.

 

Déniant toute existence au concept de l’estoppel au contentieux de la légalité d’un acte administratif, le Conseil d’Etat a considéré que la fin de non-recevoir ne pouvait qu’être écartée, en sorte que les demandes du salarié étaient recevables, et devaient être examinées au regard de la légalité de la décision de l’Inspecteur.

 

Or, le juge administratif considère cette dernière décision entachée d’illégalité dès lors que l’Inspecteur du travail avait dans un premier temps indiqué que l’autorisation devrait être refusée au motif :

 

d’une part, que la fermeture du site de Meylan de la société Pace Europe, au sein duquel était employé l’intéressé, n’était pas justifiée par des difficultés économiques avérées ;

 

– d’autre part, l’employeur ne pouvait être regardé comme ayant satisfait à son obligation de reclassement.

 

En effet, la seule volonté du salarié protégé de quitter l’entreprise ne pouvait permettre l’Inspecteur du travail d’autoriser son licenciement car ceci reviendrait à reconnaître au profit du salarié protégé la faculté de renoncer à la protection exceptionnelle d’ordre public instituée par le législateur pour protéger son mandat.

 

Par ailleurs, le juge administratif précise que rien n’empêchait, le cas échéant, pour le salarié protégé de convenir en commun avec son employeur de la rupture du contrat de travail et de soumettre la rupture conventionnelle ainsi obtenue à l’autorisation de l’inspecteur du travail conformément à l’article L. 1237-15 du code du travail.

 

Stéphanie TRAN

Vivaldi-Avocats


[1] http://www.vivaldi-chronos.com/index.php/fiscal/1514-479

[2] Ass. plèn., 27 février 2009, n°07-19.841, D. 2009, p.723, obs. X. Delpech ; D. 2009, p.1245, obs. D. Houtcieff, Adde, Cass. civ. 3ème, 28 janvier 2009, D. 2009, p. 2008

[3] CE 1er avril 2010, n°334465, SAS Marsadis, Lebon

 

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