Le locataire peut opposer une exception d’inexécution pour suspendre le paiement des loyers sans qu’une mise en demeure préalable soit nécessaire, dès le moment où les locaux deviennent, du fait du manquement du bailleur à ses obligations, impropres à l’usage auquel ils étaient destinés.
Civ. 3ème, 18 sept. 2025, n° 23-24.005
I –
Le locataire peut invoquer l’exception d’inexécution pour suspendre le paiement des loyers lorsqu’il est confronté à un manquement du bailleur à ses obligations essentielles. Dans ce cadre, il n’est pas tenu d’adresser une mise en demeure préalable pour pouvoir exercer ce droit.
Cette faculté s’applique à compter du moment où les locaux loués deviennent impropres à l’usage prévu par le contrat en raison des manquements du bailleur — qu’il s’agisse d’un défaut de délivrance, d’entretien ou d’entrave à la jouissance paisible des lieux. L’exception d’inexécution constitue ainsi un moyen de protection immédiat du preneur, lui permettant de ne pas continuer à s’acquitter d’une obligation dont la contrepartie, ici la jouissance effective des locaux, n’est plus assurée.
Cette règle reflète le principe général des contrats à exécution successive : chaque partie peut suspendre l’exécution de ses propres obligations tant que l’autre partie ne respecte pas les siennes, garantissant un équilibre contractuel et la préservation de l’usage réel du bien loué.
Elle souligne également que la protection du locataire ne dépend pas de formalités préalables, mais prend effet dès la survenance du manquement persistant du bailleur.
Par cet arrêt, la Cour de cassation précise les conditions dans lesquelles le locataire, privé de la jouissance des locaux en raison du manquement du bailleur à son obligation de délivrance, peut opposer l’exception d’inexécution pour suspendre le paiement des loyers.
Il convient de rappeler que cette exception ne peut être invoquée que lorsque l’occupation des locaux devient totalement impossible (Civ. 3e, 10 oct. 2024, n° 22-24.395). Des désordres mineurs, tels que de simples infiltrations, ne suffisent pas à rendre les locaux impropres à leur usage et ne permettent donc pas de recourir à l’exception d’inexécution (Civ. 3e, 6 juill. 2023, n° 22-15.923). Des troubles partiels peuvent en revanche justifier une réduction du loyer, mais ne permettent pas de suspendre intégralement l’exécution de l’obligation de paiement (Civ. 3e, 10 oct. 2024, n° 22-24.395).
En l’espèce, il s’agissait d’un bail dérogatoire d’une durée de vingt-trois mois. Le locataire était débiteur de loyers, mais un dégât des eaux majeur avait rendu les locaux impropres à leur usage. Constatant l’impossibilité d’occuper les lieux, il les avait quittés et sollicitait des dommages-intérêts, tandis que le bailleur réclamait le paiement des loyers.
II –
La cour d’appel avait condamné le locataire au paiement des loyers, considérant que l’exception d’inexécution ne pouvait pas être invoquée. Les juges du fond avaient estimé que, comme le locataire avait seulement informé la bailleresse de l’état des locaux et de l’impossibilité d’exploiter ceux-ci par une mise en demeure datée du 1er novembre 2016, l’exception d’inexécution ne pouvait s’appliquer aux loyers échus avant cette date.
La Cour de cassation censure cette décision, jugeant que la cour d’appel a introduit une exigence non prévue par la loi en conditionnant l’application de l’exception à l’envoi préalable d’une mise en demeure.
Elle rappelle ainsi que l’exception d’inexécution peut être valablement invoquée sans qu’il soit nécessaire d’adresser une mise en demeure préalable au bailleur.
III –
Cet arrêt a été rendu avant l’entrée en vigueur de la réforme du droit des obligations par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et se réfère à l’ancien article 1184, alinéa 1er, du code civil.
Cependant, la décision de la Cour de cassation s’inspire des principes désormais consacrés par la réforme. Depuis le 10 février 2016, l’exception d’inexécution est expressément prévue à l’article 1219 du code civil, selon lequel : « Une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave ».
Contrairement à d’autres mécanismes prévus par le code civil, ce texte n’exige ni mise en demeure préalable ni notification particulière. Il se distingue notamment des dispositions de l’article 1220, qui prévoient une notification a posteriori pour suspendre l’exécution d’une obligation, ou de celles de l’article 1222, qui permettent au créancier d’exécuter lui-même l’obligation, mais seulement après mise en demeure.
 
					 
							
 
			














 
			 
                     
                                
                              
		
 
		