Rappel des faits
Par acte du 2 mars 2011, l’EURL MENUISERIE ALFA’S, soumise à l’impôt sur les sociétés, ayant pour objet la réalisation de travaux de menuiserie et d’aménagements extérieurs, dont M. F était le gérant et l’associé unique, et la SCI DU DOMEYNON, soumise au régime des sociétés de personnes de l’article 8 du CGI, ayant pour objet l’acquisition et la gestion d’immeubles, dont M. F et son épouse détenaient chacun la moitié des parts, ont acquis, respectivement, l’usufruit, pour une durée de 12 ans, et la nue-propriété d’un local à usage artisanal appartenant à la SCI QUADRA moyennant un prix total de 310 960 euros TTC.
A l’issue d’une vérification de comptabilité de l’EURL MENUISERIE ALFA’S, l’administration fiscale a estimé que le prix de 310 960 euros qu’elle avait acquitté pour acquérir l’usufruit temporaire excédait de 93 288 euros la valeur de celui-ci et que l’excédent de prix ainsi consenti constituait une libéralité accordée par l’EURL MENUISERIE ALFA’S à la SCI DU DOMEYNON, nue-propriétaire.
En conséquence, M. et Mme F, en leur qualité d’associés de la SCI DU DOMEYNON, ont été imposés, au titre de l’année 2011, sur le fondement de l’article 111 du CGI à raison des revenus distribués correspondant à la libéralité retenue par l’administration.
M. F relève appel du jugement du 24 janvier 2019 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge des compléments d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquels son épouse et lui ont été assujettis de ce chef au titre de l’année 2011 et des majorations correspondantes.
La décision de la Cour administrative d’appel
Elle énonce :
« En cas d’acquisition par des personnes distinctes de l’usufruit temporaire et de la nue-propriété du même bien immobilier, le caractère délibérément majoré du prix payé pour l’acquisition de l’usufruit temporaire par rapport à la valeur vénale de cet usufruit, sans que cet écart de prix ne comporte pour l’usufruitier de contrepartie, révèle, en ce qu’elle conduit à une minoration à due concurrence du prix acquitté par le nu-propriétaire pour acquérir la nue-propriété par rapport à la valeur vénale de celle-ci, l’existence, au profit du nu-propriétaire, d’une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d’une distribution de bénéfices au sens des dispositions précitées du c de l’article 111 du code général des impôts. La preuve d’une telle distribution occulte doit être regardée comme apportée par l’administration lorsqu’est établie l’existence, d’une part, d’un écart significatif entre les prix convenus et les valeurs vénales respectives de l’usufruit et de la nue-propriété, d’autre part, s’agissant des parties au démembrement du droit de propriété, de l’intention de l’usufruitier d’octroyer, et pour le nu-propriétaire, de recevoir, une libéralité du fait des conditions de l’acquisition dudit bien.
En l’absence de toute transaction ou de transaction équivalente, l’appréciation de la valeur vénale doit être faite en utilisant les méthodes d’évaluation qui permettent d’obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande à la date où l’acquisition est intervenue. Dans le cas de l’acquisition d’un bien en démembrement de propriété, constitue une telle méthode d’évaluation celle qui définit des prix de la nue-propriété et de l’usufruit tels qu’ils offrent le même taux de rendement interne de l’investissement pour l’usufruitier et le nu-propriétaire. »
En l’espèce, les parties avaient retenu, pour calculer la valeur de l’usufruit, un loyer théorique équivalent à 9% de la valeur d’acquisition, sans revalorisation annuelle, et une durée d’usufruit de 12 ans.
La Cour détaille ensuite la méthode appliquée par l’administration fiscale :
« A défaut d’éléments de comparaison permettant d’évaluer la valeur de l’usufruit en litige, l’administration a utilisé une méthode de valorisation fondée sur la somme actualisée des revenus futurs de l’immeuble. Cette méthode détermine de manière cohérente la valeur vénale de l’usufruit par différence entre la valeur de pleine propriété à la date de l’opération et la valeur actualisée à cette même date de la pleine propriété obtenue à l’extinction de l’usufruit en appliquant un taux d’actualisation égal au taux de rendement de l’investissement immobilier, indépendamment de l’inflation. Pour déterminer ce taux d’actualisation, l’administration a recherché le taux pour lequel la valeur actuelle nette (VAN) du bien, correspondant à la somme de la valeur des flux de revenus futurs et de celle de la pleine propriété future au terme de l’usufruit, de laquelle est retranchée la valeur de la pleine propriété actuelle, est nulle. Pour l’application de cette méthode au cas d’espèce, l’administration s’est fondée sur les données utilisées par l’EURL Menuiserie Alfa’s et la SCI du Domeynon pour calculer la valeur de l’usufruit, et notamment, sur le prix d’acquisition du local, la durée de l’usufruit, le montant des loyers bruts potentiels tels qu’ils pouvaient être escomptés à la date de l’acquisition, ainsi que le montant des charges foncières supportées, retenus par les parties. Elle a appliqué une évolution annuelle de 1,5 % au montant des loyers escomptés. Enfin, elle a calculé le taux d’évolution annuel du prix du local qu’elle a estimé à 4 % en se fondant sur la zone géographique d’implantation du bien, situé dans une zone dynamique et recherchée, sa date de construction, récente, les données propres au marché, qui était bien orienté en 2011, en retenant la circonstance que les travaux incombant normalement au nu-propriétaire étaient en l’espèce pris en charge par l’usufruitier et enfin en se fondant sur l’évolution constatée du prix du bien entre sa construction et sa cession, qui était de l’ordre de 4 % par an. »