La preuve du caractère décennal d’un désordre futur dans le délai d’épreuve doit être rapportée pour engager la responsabilité décennale du constructeur

Amandine Roglin
Amandine Roglin

La preuve d’un dommage futur portant atteinte de manière certaine à la destination ou à la solidité de l’ouvrage dans le délai d’épreuve doit être rapportée pour engager la responsabilité décennale du constructeur

Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 30 novembre 2022, n°21-23.097

I –

Des locataires ont fait réaliser des travaux de charpente et de planchers dans un local commercial lequel a par la suite été vendu à une SCI.

Invoquant l’existence de désordres, notamment un sous-dimensionnement de la charpente et un problème relatif à la charge du plancher, la SCI a assigné la venderesse et son locataire lesquels ont, après dépôt du rapport d’expertise judiciaire, appelé en garantie le constructeur et son assureur.

II –

En cause d’appel, la venderesse et le locataire sont déboutés de leurs demandes en garantie en ce qu’elles étaient fondées sur la responsabilité décennale du constructeur et s’appuyaient principalement sur le rapport d’expertise judiciaire.

La Cour d’Appel a en effet considéré que le rapport d’expertise était peu probant dans la mesure où l’expert n’aurait pas accompli personnellement sa mission et n’aurait fait que reprendre la note de calcul établie par un bureau d’études missionné par la venderesse.

Dans ces conditions, la Cour d’appel a estimé que l’expert n’avait caractérisé ni la nature ni l’ampleur du risque de survenance de désordres de sorte que le risque invoqué par la venderesse et le locataire n’était que théorique.

La société venderesse a formé un pourvoi en cassation.

III –

La Cour de cassation a confirmé l’arrêt attaqué en ces termes :

« En premier lieu, il ne ressort ni de l’arrêt ni des conclusions d’appel que la SCI et les locataires aient soutenu, même en substance, une impropriété de l’immeuble à sa destination en raison d’un risque pour la sécurité des personnes.

En second lieu, ayant retenu, par une appréciation souveraine, exclusive de dénaturation, que l’ambiguïté du rapport d’expertise rendait nécessaire, que l’impossibilité d’utiliser le plancher avec une charge utile de 250 kg/m² n’était qu’un risque théorique et qu’il n’était justifié d’aucun désordre, alors que les travaux sur la charpente avaient été réalisés près de quinze ans auparavant, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de suivre les conclusions de l’expert, en a souverainement déduit que la preuve d’une impropriété à destination ou d’une atteinte à la solidité apparue dans le délai décennal n’était pas rapportée.

En l’état de ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d’appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ».

IV –

Cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence constante (Cour de cassation, 3ème civile, 8 octobre 2003, n°01-17.868 ; Cour de cassation, 3ème civile, 4 octobre 2018, n°17-223.190 ; Cour de cassation, 3ème civile, 18 mars 2021, n°19-20.710), le dommage futur est en effet réparable sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs s’il est démontré que le désordre atteindra de manière certaine la gravité requise dans le délai d’épreuve de 10 ans après la réception.

En l’espèce, outre le fait que le rapport d’expertise judiciaire était rédigé en des termes ambigus, la Cour avait relevé que le local était utilisé depuis plus de 15 ans sans que les désordres allégués n’aient porté atteinte à la destination ou la solidité de l’ouvrage dans le délai d’épreuve, ce qui exclut toute responsabilité décennale.

L’appréciation du critère de gravité décennale est une question de fait qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond lesquels ne sont pas liés aux conclusions de l’expert judiciaire.

En outre, cet arrêt rappelle que le délai décennal est à la fois un délai d’action et un délai d’épreuve : non seulement ce délai doit être valablement interrompu dans les 10 ans à compter de la réception mais, en outre, les désordres doivent, de manière certaine, porter atteinte à la destination et/ou à la solidité de l’ouvrage dans ce même délai.

Print Friendly, PDF & Email
Partager cet article