Dans un arrêt qui reçoit les honneurs de la publication au Bulletin, la Cour de cassation revient sur les causes d’interruption de la prescription, et sur le cas de la mise en demeure.
Source : Cour de cassation, Chambre commerciale, 18 mai 2022 n°20.23.204
I – Dans un arrêt important de la Chambre commerciale, publié au Bulletin, la Cour de cassation revient sur la prescription quinquennale (5 ans) prévue par l’article 2224 du Code civil, et ses causes d’interruption.
Les articles 2240, 2241, et 2244 de ce même code prévoient les causes d’interruption de cette prescription, c’est-à-dire la suspension des délais pour agir, lesquels sont précisément :
- Une reconnaissance du débiteur ( demande de remise de dette, d’aménagement de sa dette par un plan de surendettement, invocation d’une éventuelle compensation de créances, autorisation de prélèvement sur son compte bancaire….),
- Une demande en justice, même en référé, (et même devant une juridiction qui se révèle être incompétente, ou si l’acte de saisine est annulé a posteriori pour vice de procédure),
- Une mesure conservatoire, ou un acte d’exécution forcée.
Cette liste limitative n’inclue manifestement pas la mise en demeure, quand bien même par courrier recommandé avec accusé reception, qui n’est, semble-t-il pas un acte suffisamment engageant pour interrompre la prescription prévue le législateur.
Ainsi, sans réalisation d’un des actes susmentionnés, l’action peut se révéler prescrite à défaut de réaction dans un délai de 5 ans. En effet, celui qui n’exerce pas son droit dans le délai imparti, risque tout simplement de se voir privé de l’exercer au terme du délai qui lui était laissé pour agir.
Pour autant, certains plaideurs ont tenté de faire évoluer cette liste, et ont sollicité l’intervention de la Cour de cassation, pour prendre position au sujet d’une mise en demeure adressée par voie de recommandée avec accusé réception.
II – A l’origine de ce contentieux, un médecin ayant souscrit avec une SAS, un contrat portant sur la location d’un matériel de laser, cesse de payer ses loyers.
La société prestataire l’assigne en constatation de la résiliation de plein droit du contrat, en condamnation des loyers impayés, et en paiement d’une indemnité contractuelle de résiliation, outre évidemment, restitution du matériel objet du contrat.
Le nœud du problème repose alors sur l’éventuelle prescription des loyers échus, revendiquée par le médecin débiteur, qui évoque alors, une fin de non-recevoir.
Les lecteurs de Chronos sauront qu’une fin de non-recevoir est un moyen de défense, encadré par le code de procédure civile, qui vise à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans même examiner le fond de l’affaire.
Les juges du fonds le condamnent, considérant qu’il avait reçu une mise en demeure, puis une seconde, avant d’être assigné et que « du fait de ces deux interruptions, la prescription quinquennale n’était pas acquise ».
Or, le médecin considère, semble-t-il à juste titre, que ces mises en demeure ne pouvaient interrompre le délai de prescription de l’action en recouvrement des loyers.
C’est sur ce point qu’a été amenée la Cour de cassation à se positionner.
Et c’est dans un sens favorable au médecin, qu’elle a considéré :
« Vu les articles 2224, 2240, 2241 et 2244 du code civil :
7. La prescription quinquennale prévue par le premier de ces textes est, en application des deuxième, troisième et quatrième, interrompue par la reconnaissance du débiteur, une demande en justice, même en référé, une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d’exécution, ou un acte d’exécution forcée. Cette énumération est limitative.
8. Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande en paiement des loyers impayés antérieurs au 12 octobre 2011 et, en conséquence, retenir que la société Franfinance est recevable à agir en paiement des loyers, l’arrêt retient que M. [O] a reçu une première mise en demeure de payer les loyers le 27 avril 2011 et une seconde le 3 avril 2013, pour les loyers impayés à compter du 1er janvier 2011, de sorte qu’au jour de la délivrance de l’assignation, le 12 octobre 2016, la prescription quinquennale n’était pas acquise du fait de ces deux interruptions.
9. En statuant ainsi, alors qu’une mise en demeure, fût-elle envoyée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, n’interrompt pas le délai de prescription de l’action en paiement des loyers, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
Dans le prolongement de sa jurisprudence antérieure, la Haute Cour confirme qu’un courrier recommandé est insuffisant pour interrompre la prescription quinquennale.
En effet, dans son arrêt du 13 Octobre 1996, (N°91.10.066) lui-même publié au Bulletin de l’époque, les juges avaient considéré très simplement :
« Vu l’article 2244 du Code civil ;
Attendu que pour statuer comme il a fait, l’arrêt retient encore que la société Y justifie de l’envoi à M. X…, en octobre 1987 et mars 1988, de deux lettres recommandées avec avis de réception « qui valent mise en demeure et ont interrompu la prescription,
Attendu qu’en statuant ainsi, alors que l’envoi d’une lettre, même recommandée, n’interrompt pas la prescription, la cour d’appel a violé le texte susvisé »
En conséquence, c’est à jurisprudence constante que les juges de la Haute Cour réaffirment dans un arrêt largement diffusé, que non, la lettre recommandée, même avec accusé réception, n’interrompt pas la prescription.
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