« LA MAFIA » : Marque attentatoire à l’ordre public

Virginie PERDRIEUX
Virginie PERDRIEUX

 

Source : Tribunal de l’Union Européenne, 9ème Chambre, 15 mars 2018, affaire T-1/17.

 

En droit de l’Union européenne, tout comme en droit français, la validité d’une marque est soumise à trois conditions de protection cumulatives, soit :

 

– Elle ne doit pas être contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs ;

– Elle doit être distinctive au regard des produits et services visés au dépôt ;

– Elle doit être disponible.

 

La première condition s’avère constituer une cause particulièrement rare d’annulation, puisque les déposants intègrent naturellement la notion de respect de l’ordre public et des bonnes mœurs, dans le cadre du développement de leurs produits ou de leurs services.

 

Cependant, il peut arriver qu’un déposant fasse une mauvaise appréciation de la perception d’une marque par le public et de ses conséquences négatives, au regard de la morale.

 

Tel est le cas en l’espèce, concernant le dépôt par une société de droit espagnol d’une marque semi-figurative dans l’Union Européenne « LA MAFIA SE SIENTA A LA MESA » représentant en arrière-plan une rose rouge, destinée à désigner notamment des services de restauration et de bar, mais également des articles de mode.

 

La république italienne a déposé une demande auprès de l’EUIPO visant à faire déclarer nulle ladite marque pour l’ensemble des produits et services visés au dépôt sur le fondement de l’article 7 paragraphe 1 sous f du Règlement n° 207/2009, considérant que la marque contestée était contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, dès lors que l’élément verbal « mafia » renvoyait à une organisation criminelle et que l’usage qui en était fait dans ladite marque, en vue de désigner une chaîne de restaurants de la requérante, en plus de susciter des sentiments profondément négatifs, avait pour effet de manipuler l’image positive de la gastronomie italienne et de banaliser le sens négatif de cet élément.

 

Saisi du recours formé à l’encontre de la décision de la division d’annulation de l’EUIPO ayant effectivement considéré ladite marque attentatoire à l’ordre public, le Tribunal de l’Union Européenne a entendu rappeler le principe selon lequel l’appréciation de l’existence d’une contrariété à l’ordre public ou aux bonnes mœurs devait être faite sur la base des critères d’une personne raisonnable, ayant des seuils moyens de sensibilité et de tolérance, le public pertinent ne devant pas être limité au public auquel sont directement adressés les produits et services pour lesquels l’enregistrement est demandé, puisque d’autres personnes sont susceptibles d’être mises en présence de ce signe de manière incidente dans leur vie quotidienne.

 

Au surplus, le public pertinent situé sur le territoire de l’Union Européenne doit prendre en compte aussi bien les circonstances communes à l’ensemble des Etats membres que les circonstances particulières d’un des Etats membres pris individuellement, dont la perception de ce qui peut être contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs peut être différente, notamment pour des raisons linguistiques, historiques, sociales ou culturelles.

 

Le Tribunal relève ensuite que l’élément verbal « la mafia » est mondialement compris comme renvoyant à une organisation criminelle ayant ses origines en Italie et dont les activités se sont étendues à d’autres Etats au sein de l’Union Européenne.

 

La juridiction précise encore que cette organisation criminelle a recours à l’intimidation, à la violence physique et au meurtre afin de mener à bien ses activités, qui incluent notamment le trafic illicite de drogue, le trafic illicite d’armes, le blanchiment d’argent et la corruption.

 

De telles activités criminelles violent les valeurs mêmes sur lesquelles l’Union Européenne est fondée, en particulier les valeurs de respect, de la dignité humaine et de liberté.

 

Le fait que le déposant ait souhaité faire une référence au film « le parrain » au travers de sa marque, s’avère sans incidence sur la perception négative de celle-ci par le public pertinent.

 

Le Tribunal observe encore que l’association de l’élément verbal « la mafia » à la phrase « se sienta a la mesa » (traduction : s’assoit à table) et une rose rouge, symbole de l’amour ou de l’esprit de concorde, est de nature à donner une image globalement positive de l’action de la mafia et à banaliser la perception des activités criminelles de cette organisation.

 

Au regard de cette perception négative du public pertinent, le Tribunal a donc confirmé l’annulation de la marque querellée.

 

Virginie PERDRIEUX

Vivaldi-Avocats 

 

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