Source : Cass.Com. 12 juin 2025, F-B, n° 24-13.697 et Cass.Com. 12 juin 2025, FS-B, n° 24-10.168
Par deux arrêts en date du 12 juin 2025, la cour de cassation apporte des précisions quant au régime de responsabilité sur la « Fraude au président ».
Cet arrêt sera l’occasion à partir de la rentrée de rédiger une suite d’article sur la fraude en elle-même et les responsabilités de chacun mais surtout sur les moyens de l’éviter.
En premier lieu, il est primordial de distinguer les faits des deux arrêts rendus par la Cour de cassation :
- Affaire n° 24-13.697.
Une société, titulaire d’un compte auprès d’un établissement bancaire, a conclu une extension de contrat bancaire à distance. Cette extension de contrat a donné mandat à un tiers pour « régir et administrer l’ensemble de ses comptes bancaires ». Entre le 10 février 2020 et le 9 mars suivant, un salarié du mandataire a ordonné onze virements à la suite d’une escroquerie par usurpation d’identité. Ces onze opérations ont abouti à une somme de 1 297 158,32 €. Le dirigeant de la société cliente a découvert l’escroquerie après avoir reçu un appel de son établissement bancaire pour confirmer une augmentation de l’ouverture de crédit.
La situation s’est détériorée lorsque la banque a refusé de rembourser intégralement les sommes litigieuses. La société a donc saisi les juridictions compétentes afin d’obtenir réparation du préjudice subi en raison du manquement reproché au devoir de vigilance de la banque.
En appel, les juges du fond ont fait droit à la demande de la société en caractérisant des anomalies apparentes au sein des virements ordonnés par le salarié du mandataire. Auparavant, la cour d’appel avait écarté l’application des dispositions des articles L. 133-18 et suivants du code monétaire et financier, car les opérations en question avaient été autorisées au sens de ces textes.
La banque conteste la décision rendue en appel. Elle réitère sa position selon laquelle le corpus de règles spéciales du code monétaire et financier devrait s’appliquer. À titre subsidiaire, elle demande que sa responsabilité contractuelle soit écartée. La banque soutient avoir contacté une personne autorisée à émettre des ordres de virement, ce qui empêcherait l’application de l’article 1147 ancien du code civil.
- Affaire n° 24-10.168.
Le comptable du client a été victime d’une escroquerie par hameçonnage par courriel. Entre le 14 mai 2019 et le 17 mai suivant, le comptable a émis plusieurs ordres de virement pour un montant total de 384 625,41 € à une société dont le compte était ouvert dans une banque en Hongrie. La banque française a réussi à récupérer le dernier virement, d’un montant de 98 919,50 €, et l’a restitué à la société cliente. Cependant, cette dernière n’a pas réussi à trouver un accord avec sa banque pour le montant restant. Par conséquent, l’affaire est portée devant les juridictions compétentes, la victime accusant sa banque de manquement au devoir de vigilance. En appel, les juges du fond ont estimé qu’aucune anomalie apparente n’était présente dans cette affaire.
La cliente conteste la décision rendue en appel, arguant que les juges d’appel n’ont pas correctement appliqué les critères pour identifier une anomalie apparente dans le contexte d’une fraude au président.
Quel est le droit applicable ?
Un seul des pourvois soulevait la question de l’application des dispositions des articles L. 133-18 et L. 133-23 du code monétaire et financier.
Cette question est délicate, car elle rappelle le vif débat sur l’exclusivité de ces règles issues du droit de l’Union européenne, notamment les directives 2007/64/CE (dite « DSP 1 ») et (UE) 2015/2366 (dite « DSP 2 »). La responsabilité contractuelle de droit commun de l’article 1231-1 nouveau du code civil n’est pas applicable en présence d’un régime de responsabilité exclusif. Cette impossibilité d’application conjointe permet de préserver l’harmonisation prévue par les directives DSP 1/DSP 2.
Le pourvoi n° 24-13.697 a tenté de s’appuyer sur cette tendance à l’exclusivité du régime spécial pour plaider l’application des dispositions du code monétaire et financier. Cependant, l’application de ce régime dérogatoire nécessite de démontrer une opération de paiement non autorisée. La chambre commerciale a correctement souligné que les opérations étaient autorisées, comme l’ont constaté les juges du fond. Par conséquent, il est impossible de revenir sur le régime spécifique des articles L. 133-18 et L. 133-23 du code monétaire et financier. Cette précision permet à la responsabilité contractuelle de droit commun de continuer à s’appliquer.
Une solution contraire aurait été surprenante compte tenu de l’évolution du devoir de vigilance, qui ne se limite pas à la « fraude au président » et ce depuis longtemps.
Le droit commun de la responsabilité contractuelle demeure applicable, de même que la jurisprudence de la Cour de cassation relative aux anomalies apparentes.
Le cœur du débat réside dans la notion d’anomalie apparente.
Les deux arrêts du 12 juin 2025 continuent de façonner la jurisprudence sur l’obligation de vigilance, qui s’est développée autour des anomalies apparentes. Ces anomalies peuvent être de nature « matérielle » ou « intellectuelle ». Lorsqu’un banquier identifie une telle difficulté, il doit obtenir des précisions de la part de son client ou refuser purement et simplement d’exécuter l’opération afin de préserver sa responsabilité sans risquer d’être tenu responsable d’un manquement à son devoir de non-ingérence.
La « fraude au président » n’implique donc pas un régime de responsabilité très favorable aux clients trompés lorsque l’établissement bancaire a correctement suivi les opérations autorisées.
On observe alors que deux éléments prendront part au débat :
1. La révélation d’une anomalie apparente.
Le mécanisme repose sur une anomalie apparente, qui doit être démontrée. En l’absence d’anomalie, la responsabilité contractuelle de droit commun ne peut s’appliquer à l’établissement bancaire. C’est pourquoi le pourvoi dans l’affaire n° 24-10.168 a été rejeté.
Les juges du fond ont retenu l’absence d’anomalie apparente pour les raisons suivantes :
– Le montant des virements était inférieur aux plafonds quotidiens.
– Les opérations litigieuses n’ont pas entraîné de solde débiteur.
La banque destinataire des fonds était située en Hongrie, un État membre de l’Union européenne.
Cependant, ces critères peuvent être remis en question. Le pourvoi a souligné que le montant maximal des virements internationaux effectués par la société au cours des trois années précédentes s’élevait à seulement 9 292,60 €. Dans ce contexte, le montant de 384 625,41 € entre le 14 et le 17 mai 2019 aurait pu être considéré comme suspect.
Malgré cela, cela n’a pas suffi à établir une anomalie apparente. La chambre commerciale a suggéré qu’il aurait fallu accumuler davantage de signes d’anomalie ou, du moins, en proposer de plus significatifs. Il est à noter la sévérité de cette décision envers le client victime d’une escroquerie. Le montant maximal des opérations internationales précédentes était presque dix fois inférieur à celui de chaque virement litigieux durant la période considérée.
Dans un dossier précédent (23-13282), le tribunal a examiné sept virements litigieux et a constaté des anomalies apparentes. Ces anomalies concernaient la fréquence et la répétition des virements, leur période inhabituelle dans l’année, leurs montants élevés par rapport aux autres ordres émis, le fait qu’ils étaient effectués au profit de sociétés extérieures aux relations d’affaires habituelles de la cliente et à son domaine d’activité, et le fait qu’ils étaient envoyés dans un pays inhabituel, la Chine.
Le tribunal a souligné que seule la convergence de plusieurs éléments probants peut caractériser une telle anomalie. Il a insisté sur l’importance du vocabulaire employé, qui implique que l’anomalie doit être « apparente » pour l’établissement bancaire. Le tribunal a reconnu qu’aucune liste exhaustive ne pouvait être établie et a encouragé les banques à choisir les critères les plus pertinents en fonction du contexte, du montant, du bénéficiaire, du pays de destination et de la chronologie des opérations. Il a également souligné que l’accumulation d’indices suspects était un facteur clé de réussite.
2. le devoir de vigilance.
Une fois que l’anomalie apparente a été identifiée, il faut démontrer que le devoir de vigilance a été effectivement manqué. C’est la raison de la cassation dans l’affaire n° 24-13.697.
Les juges du fond avaient estimé que la banque n’avait pas sollicité suffisamment d’informations auprès de la société ou de son directeur financier afin de s’assurer de la légitimité des ordres de virement. Toutefois, comme l’avait souligné l’établissement bancaire, il est difficile de reprocher quoi que ce soit au banquier ayant pu obtenir « une confirmation de la part d’une personne habilitée à émettre des ordres de paiement ». Par conséquent, la Cour de cassation a cassé l’arrêt pour défaut de base légale, renvoyant l’affaire à la cour d’appel afin qu’elle puisse retenir la responsabilité du banquier si une telle confirmation n’a pas été obtenue.
Il convient de noter une certaine souplesse par rapport à l’arrêt du 2 octobre 2024 n° 23-13.282, qui avait approuvé une cour d’appel d’avoir jugé que « la banque aurait dû vérifier la régularité des ordres de virement auprès du dirigeant, seule personne contractuellement habilitée à les valider ».
Dans la décision rendue le 12 juin 2025, il est simplement fait référence à la personne habilitée à émettre les ordres de paiement. Cette différence s’explique probablement par les circonstances particulières de l’affaire examinée aujourd’hui. La société titulaire du compte avait confié un mandat à autrui par l’extension du contrat de banque à distance pour « régir et administrer l’ensemble de ses comptes bancaires ». Par conséquent, le dirigeant n’était pas la seule personne contractuellement habilitée à valider ces opérations, son mandataire disposant des mêmes pouvoirs grâce au contrat de mandat.
Ce raisonnement juridique suscite un sentiment mitigé pour le client. Il est toutefois important de rappeler que la responsabilité contractuelle de la banque n’est pas un système de protection destiné à rembourser automatiquement les fraudes au président. Son objectif est uniquement de vérifier la bonne exécution par l’établissement bancaire de son obligation de vigilance.