Cass. soc. 14-12-2022 n° 21-19.551 FS-BR, Sté 2SMA c/ Direccte d’Île-de-France
Il incombe au Tribunal judiciaire, statuant comme juge des élections, d’annuler la décision de la DREETS ayant refusé d’appliquer un accord collectif relatif au périmètre des établissements distincts et, si nécessaire, de l’interpréter afin de répartir le personnel et les sièges entre les collèges électoraux au sein de ces établissements, par une décision se substituant à celle de la DREETS.
Pour rappel, dans les entreprises d’au moins 50 salariés, le nombre et le périmètre des établissements distincts peuvent être déterminés par accord d’entreprise, à défaut par accord entre l’employeur et le CSE, ou, à défaut, par décision unilatérale de l’employeur [1]cette détermination étant un préalable nécessaire à la répartition des salariés et des sièges dans les collèges électoraux de chaque établissement où doit être mis en place un CSE.
Dans l’espèce dont était saisie la Cour de cassation, un accord collectif avait été conclu entre les 21 entités d’une unité économique et sociale (UES) afin de prévoir la mise en place d’un CSE central et de deux CSE d’établissement, dont les périmètres respectifs sont définis par activités.
Mais les négociations sur le protocole préélectoral avaient échoué, et l’employeur avait saisi la DIRECCTE (rebaptisée DREETS depuis), aux fins de répartir le personnel et les sièges entre les collèges électoraux des deux CSE d’établissement.
Or, la DIRECCTE avait rejeté la demande au motif d’une absence de détermination claire du périmètre des établissements distincts. Elle considérait que l’accord collectif relatif au périmètre des établissements distincts était ambigu sur ce que recouvre « l’activité support » entrant dans la définition du périmètre d’un des deux établissements distincts. Elle considère qu’il ne lui appartient pas de l’interpréter.
Les 21 entités composant l’UES ont alors saisi le tribunal judiciaire d’un recours contre cette décision explicite de rejet, en demandant, à titre principal, de constater qu’il n’y a pas lieu d’interpréter l’accord collectif et de procéder à une répartition du personnel et des sièges entre les collèges en application dudit accord et, à titre subsidiaire, d’interpréter cet accord s’il était considéré comme ambigu et de procéder, pour chaque CSE, à une répartition du personnel et des sièges dans les collèges conformément à l’interprétation retenue.
Mais le tribunal judiciaire, saisi comme juge du contentieux électoral, s’est déclaré également incompétent pour interpréter l’accord collectif et donc pour procéder à la répartition entre les collèges.
Le Juge des contentieux statuant en dernier ressort, la Cour de cassation était saisie du recours.
Le Tribunal, saisi en matière de contestation d’élections professionnelles, avait considéré qu’il appartenait au seul Tribunal judiciaire de droit commun de procéder à l’interprétation de l’accord et constatant l’ambiguïté de l’accord dont il était saisi, s’était déclaré incompétent.
La Cour de cassation a que jugé le tribunal judiciaire ne pouvait pas, sous prétexte d’une ambiguïté de l’accord collectif définissant le périmètre des établissements distincts, refuser de statuer sur la répartition du personnel et des sièges entre les collèges électoraux au sein des établissements distincts, sauf à commettre un déni de justice.
La Cour de cassation en profite pour fixer des lignes directrices destinées à servir de guide tant aux tribunaux judiciaires qu’aux DREETS, qu’elle a exposées dans une notice explicative.
Dans un premier temps, la Cour de cassation se prononce sur l’office du Tribunal judiciaire, lorsqu’il est saisi d’un recours à l’encontre d’une décision de la DREETS portant sur la répartition du personnel et des sièges entre les collèges.
Elle commence par rappeler la compétence du tribunal judiciaire, en dernier ressort, à l’exclusion de tout autre recours, en matière de contestations contre la décision de l’autorité administrative fixant la répartition des sièges entre les différentes catégories de personnel et la répartition du personnel entre les collèges électoraux, conformément aux articles L 2314-13 et R 2314-3 du Code du travail.
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Puis, elle déduit de ces dispositions qu’il appartient aux tribunaux judiciaires d’examiner l’ensemble des contestations élevées contre la décision administrative, qu’elles portent sur sa légalité externe ou sa légalité interne et, dans le cas où elles seraient mal fondées, de confirmer la décision (et donc de rejeter le recours), ou si elles sont au moins en partie bien fondées, d’annuler la décision et de statuer à nouveau, par une décision se substituant à celle de l’autorité administrative, sur les questions demeurant en litige.
L’arrêt précise ensuite l’articulation des compétences du juge des élections et de celles des DREETS, saisi d’une demande de répartition du personnel et des sièges entre les collèges électoraux, lorsque survient une difficulté d’interprétation de l’accord collectif déterminant le périmètre des établissements distincts.
S’agissant de la DREETS, il lui incombe, sous le contrôle du juge judiciaire à qui sa décision peut être déférée, de procéder à la répartition sollicitée par application de l’accord collectif définissant les établissements distincts et leurs périmètres respectifs.
Quant au tribunal judiciaire, saisi d’un recours formé contre la décision rendue par la DREETS, il lui revient d’apprécier la légalité de cette décision, au besoin après l’interprétation de l’accord collectif en cause.
La compétence de plein contentieux reconnue au tribunal judiciaire pour prendre une décision se substituant à celle du DREETS suppose donc d’annuler au préalable la décision de la DREETS comme n’étant pas régulière, ce qui signifie que la DREETS, saisi d’une demande de répartition entrant dans ses attributions, se doit de prendre position sur la définition du périmètre des CSE d’établissements institués par l’accord collectif et donc aussi d’interpréter l’accord au besoin.
Enfin, la Cour de cassation précise les modalités d’interprétation de l’accord collectif relatif au périmètre des établissements distincts, préalable nécessaire à la répartition des salariés entre les collèges de chaque établissement.
Le tribunal judiciaire doit interpréter l’accord en cause, d’abord en respectant la lettre du texte de l’accord collectif, ensuite, si celui-ci manque de clarté, en utilisant la méthode téléologique, qui consiste à rechercher l’objectif social du texte
D’après la notice explicative, il s’agit d’un rappel des règles d’interprétation d’un accord collectif telles que fixées par la jurisprudence de la Cour de cassation[2], adaptées en l’espèce au regard de l’objet de l’accord collectif, qui donne l’occasion de fournir une nouvelle illustration de « l’effet utile » auquel la chambre sociale a déjà eu recours en matière de caractérisation des établissements distincts[3]
[1] (C. trav. art. L 2313-2, L 2313-3 et L 2313-4),
[2] (Cass. ass. plén. 23-10-2015 n° 13-25.279 ; Cass. soc. 25-3-2020 n° 18-12.467)
[3] (Cass. soc. 9-6-2021 n° 19-23.153)