L’indemnité d’éviction indemnise tout le préjudice du preneur …

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

SOURCE : 3ème civ, 7 décembre 2017, n°15-12452, Inédit

 

Il résulte des dispositions de l’article L145-14 du Code de commerce que « Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail [en payant] au locataire évincé une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. 

 

Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, (…), augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre

 

L’indemnité doit réparer tout le préjudice[1] du preneur. La perturbation dans l’exploitation du fonds de commerce générée par le non-renouvellement du bail fait partie de cette indemnité : il s’agit de l’indemnité pour trouble commercial.

 

Cette indemnité accessoire porte par exemple sur les frais inhérents à la gestion de l’éviction, à la recherche de nouveaux locaux ou d’un nouveau fonds. La question s’est posée de savoir si cette indemnité restait due si le preneur connaissait, dès son entrée dans les lieux, le préjudice à venir, comme en l’espèce ?

 

Plus précisément, recevant congé refus de renouvellement et offre d’une indemnité d’éviction, des preneurs cèdent, un mois plus tard, leur fonds de commerce. Le cessionnaire les assigne en paiement d’une indemnité d’éviction, laquelle est fixée par la Cour d’appel de Versailles à un certain montant comprenant une indemnité principale, et des indemnités accessoires, desquelles est exclut l’indemnité pour trouble commercial.

 

En effet pour les juges versaillais, partageant l’avis de l’expert, l’indemnité pour trouble commercial est destinée « à réparer le préjudice financier causé par la perturbation commerciale née de la décision d’éviction du propriétaire, pendant le temps où doit s’organiser la fermeture du fonds et la recherche d’un nouveau fonds ou d’une éventuelle réinstallation du commerce dans d’autres locaux ». Pour les juges du fonds, l’indemnité ne peut être réclamée par le cessionnaire alors qu’il savait, dès son entrée en jouissance, qu’il était sous le « coup » d’une éviction. La cour semble ainsi considérer soit que le cessionnaire avait accepté le préjudice en achetant le fonds, et ne peut donc rien solliciter du bailleur, soit qu’il pouvait raisonnablement s’organiser de manière à éviter tout préjudice inhérent à cette situation.

 

L’arrêt est cassé par la Cour de cassation, qui considère que cette connaissance ab initio importe peu :

 

« le cessionnaire d’un fonds de commerce a droit à la réparation du trouble commercial que lui cause l’éviction ».

 

Mais n’oublions pas que si l’indemnité d’éviction, et en l’occurrence l’indemnité pour trouble commercial, répare le préjudice du cessionnaire, elle ne réparera que son préjudice[2]. Or il résulte de l’exposé des faits de l’espèce que le cessionnaire était âgé et qu’il avait indiqué à l’expert qu’il n’avait pas cherché d’autre local ou fonds car il n’envisageait pas de réinstallation.

 

Or il a déjà été jugé que l’indemnité pour trouble commercial n’était pas due en cas de cessation d’activité du preneur[3]. Il appartiendra ainsi au bailleur de le rappeler, ou en tout cas de démontrer que le preneur ne subit qu’un faible préjudice à ce titre, devant la Cour de Versailles, statuant en Cour de renvoi.

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats


[1] 3ème civ, 13 juin 1969, n°67-13575

[2] Cass com., 30 novembre 1964, n°61-12755

[3] 3ème civ, 9 novembre 2010, n°09-16683

 

 

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