L’Administration peut saisir en référé le Juge Administratif d’une demande de provision aux fins de recouvrement d’une créance qui trouve son origine dans le contrat

Stéphanie TRAN
Stéphanie TRAN

 

SOURCE : Conseil d’Etat, 24 Février 2016, Requête n°395194, publié au recueil LEBON.

 

En matière contractuelle, le Conseil d’Etat a admis depuis longue date, que la personne publique disposait du choix soit d’émettre un titre exécutoire, soit de saisir le Juge afin que celui-ci fixe les sommes dont elle considérait être créancière en application du contrat (Conseil d’Etat, 26 décembre 1924, Ville de Paris contre Compagnie des Chemins de Fer Métropolitain).

 

Cette faculté constitue une dérogation notable au « Privilège du Préalable » consacré par la Jurisprudence « Préfet de l’Eure » (Conseil d’Etat, 30 mai 1913, Préfet de l’Eure), selon laquelle la personne publique ne peut demander au Juge de prendre des mesures qu’elle peut édicter elle-même.

 

Néanmoins, il avait été jugé que le choix offert en matière contractuelle à la personne publique, était exclusif, en ce sens qu’une fois le privilège du préalable exercé, ainsi que le titre exécutoire émis, l’Administration ne saurait saisir le Juge dans l’hypothèse où le titre exécutoire ne serait pas suivi des faits, sans que cette fermeture de la voie d’accès au juge ne soit considérée comme une entrave au Droit au Juge protégé par l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (Cour Administrative d’Appel de Marseille, 19 mars 2012, Commune de Saint Maximin la Sainte Baume, n°10MA00275).

 

En l’espèce, le Département de l’Eure avait saisi en référé, le Juge Administratif d’une demande de provision au titre du surcoût évalué par l’expert judiciaire à 900.453,68 euros, entre les prix effectivement payés dans le cadre de l’exécution des deux marchés et les prix qui auraient dû être payés, si ceux-ci avaient été déterminés par le libre jeu de la concurrence.

 

En effet, les titulaires des deux marchés litigieux avaient été condamnés par l’autorité de la concurrence à une sanction de près de 19 millions d’euros pour avoir enfreint entre 1997 et 2006, les dispositions de l’article L.420-1 du Code de Commerce, prohibant les actions concertées entre entreprises, tendant à limiter l’accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d’autres entreprises ou tendant à faire obstacle à la fixation des prix par le libre choix du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse.

 

Le Juge des Référés de la Cour Administrative d’appel de Douai avait jugé une telle demande de provision irrecevable, estimant que l’action en responsabilité introduite par le Département ne trouvait pas sa source dans l’existence d’un contrat mais dans l’existence de manœuvres dolosives, de sorte que seule leur responsabilité quasi-délictuelle (et non leur responsabilité contractuelle) devait être engagée.

 

Or, ce raisonnement était censuré par le Conseil d’Etat, lequel considère qu’une telle action devait être regardée comme trouvant son origine dans le contrat.

 

En effet, la circonstance que la responsabilité doive être engagée sur le terrain quasi délictuelle n’exclut pas la circonstance que l’action en question trouve son origine dans l’existence du contrat, ce que le Conseil d’Etat avait considéré en l’espèce :

 

« Que toutefois, l’action tendant à l’engagement de la responsabilité quasi-délictuelle de société en raison d’agissement dolosif susceptible d’avoir conduit une personne publique à contracter avec elles, à des conditions de prix désavantageux, qui tend à la réparation d’un préjudice né des stipulations du contrat lui-même et résultant de la différence éventuelle entre les termes du marché effectivement conclu et ce, auquel il aurait dû l’être, dans des conditions normales, doit être regardée pour l’application des principes énoncés aux points 2 et 3 de la présente décision, comme trouvant son origine dans le contrat ».

 

Dans ces conditions, ladite demande trouvant son origine dans l’existence d’un contrat, la demande de provision avait été jugée recevable par le Conseil d’Etat.

 

Stéphanie TRAN

Vivaldi-Avocats

 

 

 

 

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