SOURCE : Cour d’Appel Douai, 7 décembre 2017, n° 14/06166
En l’espèce, les contribuables ont souscrit au titre des années 2006 à 2008 une déclaration d’ISF incluant des actions de cinq sociétés en commandite par actions (ci-après SCA). L’administration fiscale conteste la valorisation retenue de ces valeurs mobilières.
Les SCA sont des sociétés holdings dont l’actif est constitué d’actions de sociétés détenant elle mêmes des actions de sociétés dites opérationnelles, étant précisé que ces sociétés ne sont pas cotées en bourse.
En principe, la valeur des titres est égale à celle qu’offrirait un acheteur quelconque dans un marché réel au jour du fait générateur de l’impôt. Le problème étant qu’il n’existe aucun marché pour les titres non cotés en bourse.
Dans cette situation, la Cour de cassation a posé un principe selon lequel :
« Lorsque la mutation porte sur des titres non cotés, biens dont la cession ne saurait être comparée à celle de biens similaires, la valeur vénale réelle de ces titres doit être appréciée en tenant compte de tous les éléments dont l’ensemble permet d’obtenir un chiffre aussi proche que possible de celui qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande »[1]
Ainsi, il doit être recouru en priorité à une méthode par comparaison avec des transactions opérées à une date aussi proche que possible de la date d’évaluation des titres et en retenant des éléments objectifs et pertinents[2].
En l’espèce, l’administration fiscale a bien appliqué la méthode par comparaison, et elle s’est référée à des opérations effectuées au cours de l’année précédent l’évaluation.
Les contribuables contestent le recours de l’administration à cette méthode, et donc l’application des valeurs relevées lors de ces cessions, au motif que les ventes des actions détenues sont soumises à des contraintes particulières :
– Les sociétés ont un caractère familial de sorte que seuls les membres de la famille (environ 600 personnes) peuvent vendre ou acheter des actions ;
– Les cessions doivent être agréées par la gérance ;
– Le prix de cession des titres de chaque société est déterminé par un collège d’experts ;
– Les cessions ne peuvent intervenir qu’un jour par an, lors d’une bourse familiale à laquelle intervient une caisse de rachat en cas de déséquilibre entre les ordres d’achat et de vente dans la limite de 2% de la valeur des actions.
Les contribuables font valoir que les experts se fondent uniquement sur la valeur mathématique de l’action et n’appliquent pas de décote pour illiquidité de l’action. Or, les contribuables soutiennent que la caisse de rachat n’intervenant que dans la limite de 2% de la valeur des actions, 98% de leurs actions seraient incessibles.
Toutefois, l’arrêt relève que :
« L’article 2.1.2 du règlement de l’association familiale Mulliez (AFM) stipule que le marché des titres de l’AFM est un marché fermé, que le volume des ordres de vente ne peut dépasser le volume des ordres d’achat complété par les possibilités d’intervention de la caisse de rachat et qu’au delà de la caisse de rachat, il ne peut y avoir de transaction et le marché se ferme.
Détaillant les modalités du fonctionnement de la caisse de rachat dans son article 2.1.3, le règlement indique que si l’excédent de vendeurs par rapport aux acheteurs est supérieur de 1% à la ‘valeur de l’association’, une nouvelle consultation des experts est organisée, que ceux-ci définissent à nouveau une valeur de l’action, sur la base de laquelle les vendeurs et acheteurs peuvent confirmer leurs ordres et que si l’excédent de vendeurs par rapport aux acheteurs est supérieur à 2% de la ‘valeur de l’association’, les ordres de vente sont servis jusqu’à 2% en fonction du pourcentage de propriété de chaque vendeur et ‘du poids relatif de leurs ordres de vente’ et qu’au delà ‘des 2% que constitue la Caisse de rachat, les ordre de vente non servis sont annulés’ »
La cour rejette alors l’argument des contribuables puisque, contrairement à ce qu’ils soutiennent, les cessions ne sont interdites que dans l’hypothèse d’un déséquilibre entre vendeurs et acheteurs de plus de 2% de la valeur de la masse globale des actions. Dès lors, tant qu’il n’y a pas de déséquilibre, la bourse fonctionne. La cour précise même qu’un tel déséquilibre n’a jamais été rencontré sur les années 2006 à 2011 examinées.
De surcroît, la cour relève également que les cessions intervenues lors de cette bourse familiales constituent des termes de comparaison valables dès lors que :
– Le prix est fixé par un collège d’experts, il ne s’agit donc pas d’un cours de convenance ;
– Il est accepté par tous les acteurs du marché ;
– Il s’impose quel que soit le nombre de transactions repérées ;
– Il s’applique à toutes les actions détenues par les contribuables (et non pas seulement à 2% de leurs actions).
En conséquence, le prix retenu répond aux exigences d’objectivité et de pertinence posées par la jurisprudence. Le recours à la méthode par comparaison est donc autorisé.
Cette décision rendue dans le cadre de l’ISF, supprimé par la loi de finances pour 2018, conserve tout son intérêt dans le domaine des droits de mutations.
Clara DUBRULLE
Vivaldi-Avocats
[1] Cass. com. 19 mai 1953 : Bull. civ. n° 180 ; Cass. com. 7 novembre 1956 : Bull. civ. n° 279 ; Cass. com. 12 décembre 1956 : Bull. civ. n° 351 ; Cass. com. 6 décembre 1961 : Bull. civ. n° 464 ; Cass. com. 9 octobre 1985 : inédit au Bull. civ
[2] Cass. com. 7-7-2009 n° 08-14.855