Inconstitutionnalité de l’obligation pour les loueurs en meublé professionnels de s’inscrire au RCS pour bénéficier de l’exonération prévue à l’article 151 septies du CGI

Clara DUBRULLE
Clara DUBRULLE

 

SOURCE : Décision n° 2017-689 QPC du 8 février 2018

 

Les faits

 

Le requérant exerce, en tant que personne physique, l’activité de loueur de locaux meublés. Il a fait l’objet d’un contrôle de l’administration fiscale au titre des années 2007 à 2009, à l’issu duquel lui a été refusé le bénéfice du régime fiscal des loueurs en meublé professionnels, au motif qu’aucun des membres de son foyer fiscal n’était inscrit au RCS en cette qualité.

 

Le requérant a posé une QPC relative au paragraphe VII de l’article 151 septies du Code général des impôts dans sa version applicable aux années concernées par le litige.

 

Le Conseil d’Etat[1] a renvoyé cette QPC au motif que :

 

« Le moyen tiré de ce que, en ce qu’elles fixent une condition qui ne peut être remplie par les personnes physiques non commerçantes exerçant à titre individuel l’activité de loueurs en meublé, elles [les dispositions] portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment aux principes d’égalité devant la loi et les charges publiques, présente un caractère sérieux »

 

Le régime fiscal des loueurs en meublé professionnels

 

La location meublée en droit fiscal est considérée comme une activité commerciale. Les revenus tirés de cette activité sont en conséquence imposés dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ; à la différence des revenus tirés de la location d’immeubles non meublés, lesquels sont imposés dans la catégorie des revenus fonciers. Cette règle s’applique que l’activité de location meublée revêt un caractère professionnel ou non.

 

Le législateur a tout de même réservé certains avantages aux loueurs en meublé qui exercent cette activité à titre professionnel. Ainsi, notamment, seuls les loueurs en meublé professionnels bénéficient du régime des plus-values professionnelles, et donc de l’exonération des plus-values réalisées lors de la cession des biens meublés prévue par l’article 151 septies du Code.

 

Cette distinction entre loueur meublé professionnel et loueur meublé non professionnel répond à une nécessité de « lutter contre les formes d’évasion fiscale » selon Monsieur Maurice Blin[2], qui en est à l’origine.

 

C’est dans la loi de finances pour 1982 qu’est définie pour la première fois la qualité de loueur en meublé professionnel.

 

Dans les textes applicables au litige, la qualité de loueur en meublé professionnel est définie comme suit :

 

– Version de l’article 151 septies résultant de la loi du 30 décembre 2005 (première des trois versions du texte objet de la QPC)

 

« Les loueurs professionnels s’entendent des personnes inscrites en cette qualité au registre du commerce et des sociétés qui réalisent plus de 23 000 euros de recettes annuelles ou retirent de cette activité au moins 50 % de leur revenu » ;

 

– Version de l’article 151 septies résultant de la loi du 27 décembre 2008 (deuxième des trois versions du texte objet de la QPC)

 

« L’activité de location directe ou indirecte de locaux d’habitation meublés ou destinés à être loués meublés est exercée à titre professionnel lorsque les trois conditions suivantes sont réunies :

 

1° Un membre du foyer fiscal au moins est inscrit au registre du commerce et des sociétés en qualité de loueur professionnel ;

 

2° Les recettes annuelles retirées de cette activité par l’ensemble des membres du foyer fiscal excèdent 23 000 € ;

 

3° Ces recettes excèdent les revenus du foyer fiscal soumis à l’impôt sur le revenu dans les catégories des traitements et salaires au sens de l’article 79, des bénéfices industriels et commerciaux autres que ceux tirés de l’activité de location meublée, des bénéfices agricoles, des bénéfices non commerciaux et des revenus des gérants et associés mentionnés à l’article 62. »

 

– Version de l’article 151 septies résultant de l’ordonnance du 30 janvier 2009 (troisième des trois versions du texte objet de la QPC)

 

« L’activité de location directe ou indirecte de locaux d’habitation meublés ou destinés à être loués meublés est exercée à titre professionnel lorsque les trois conditions suivantes sont réunies :

 

1° Un membre du foyer fiscal au moins est inscrit au registre du commerce et des sociétés en qualité de loueur professionnel ;

 

2° Les recettes annuelles retirées de cette activité par l’ensemble des membres du foyer fiscal excèdent 23 000 € ;

 

3° Ces recettes excèdent les revenus du foyer fiscal soumis à l’impôt sur le revenu dans les catégories des traitements et salaires au sens de l’article 79, des bénéfices industriels et commerciaux autres que ceux tirés de l’activité de location meublée, des bénéfices agricoles, des bénéfices non commerciaux et des revenus des gérants et associés mentionnés à l’article 62. »[3]

 

Aujourd’hui, sans avoir été modifiée, la définition du loueur en meublé professionnel a été déplacée à l’article 155 du Code général des impôts[4].

 

La condition problématique est celle imposant l’inscription du loueur en meublé au RCS. En effet, certains greffes de tribunaux de commerce ont pu refuser de procéder à l’immatriculation, en cette qualité, de personnes physiques exerçant l’activité de loueur en meublé professionnel.

 

La difficulté tient au fait que l’activité de loueur en meublé professionnel relève en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation[5] et en application du Code de commerce, de la catégorie des activités civiles et non commerciales.

 

Or, l’article L 123-1 du Code de commerce énonce que seules peuvent être inscrites au RCS les personnes physiques ayant la qualité de commerçant.

 

Face à cette difficulté, il existait de la part de l’administration fiscale une tolérance, celle-ci acceptait de ne pas contester la qualification de loueur en meublé professionnel aux contribuables qui s’étaient vus refuser par le greffier leur inscription au RCS au motif que l’activité revêt un caractère civil.

 

Les arguments du requérant

 

Le requérant estime qu’en subordonnant le bénéfice de l’exonération des plus-values de cession prévue par l’article 151 septies VII du Code général des impôts à une condition d’inscription au RCS, le législateur a institué une formalité impossible à satisfaire pour les personnes physiques. Il en résulte donc une atteinte à la garantie des droits.

 

Le requérant reproche également à ces dispositions de créer une différence de traitement injustifiée entre les personnes physiques et les personnes morales, ces dernières pouvant s’inscrire au RCS.

 

La décision du Conseil Constitutionnel

 

Le Conseil identifie tout d’abord l’objectif poursuivi par le législateur :

 

« En subordonnant le bénéfice de l’exonération à l’inscription au registre du commerce et des sociétés, le législateur a entendu empêcher que des personnes exerçant l’activité de loueur en meublé à titre seulement occasionnel en bénéficient. »

 

Si un tel objectif ne pose aucun problème, le critère retenu pour l’atteindre est inadapté selon le Conseil puisque seules les personnes ayant la qualité de commerçant (c’est-à-dire exerçant des actes de commerce) peuvent s’inscrire au RCS.

 

Le Conseil constitutionnel juge donc

 

« en subordonnant le bénéfice de l’exonération à une condition spécifique aux commerçants, alors même que l’activité de location de biens immeubles ne constitue pas un acte de commerce au sens de l’article L. 110-1 du même code, le législateur ne s’est pas fondé sur un critère objectif et rationnel en fonction du but visé »

 

Il conclut donc à la méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques.

 

Cette déclaration d’inconstitutionnalité intervient immédiatement et est invocable dans toutes les instances non jugées définitivement.

 

Clara DUBRULLE

Vivaldi Avocats


[1] Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 20/11/2017, 408176, Inédit au recueil Lebon commenté sur vivaldi-chronos

[2] Rapporteur général de la commission des finances du Sénat, notamment pour la loi de finances pour 1982

[3] Les 1° à 3° du paragraphe VII de l’article 151 septies du Code général des impôts n’ont pas été modifiés

[4] Article 155 IV 2 du Code général des impôts

[5] Cass. Civ.15 février 1921 ; Cass. Com. 5 décembre 1961 ; Cass. Civ. 30 avril 1862 => si la location de meubles exercée à titre habituel est réputée constituer un acte de commerce (L 110-1 4° du Code de commerce), la location d’immeubles n’est pas visée et présent donc un caractère civil.

 

 

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