Impropriété à destination

Kathia BEULQUE
Kathia BEULQUE - Avocat associée

Source : Cass.3ème Civ., 15 juin 2022, n°21-15.023

C’est cet exemple d’impropriété à destination que nous fournit la Troisième Chambre Civile de la Cour de cassation dans cette décision, inédite, comme suit:

« …

Faits et procédure

3. Selon l’arrêt attaqué (Bordeaux, 11 février 2021), la société civile immobilière Foch 187 (la SCI), qui a souscrit une assurance dommages-ouvrage auprès de la société MMA, a confié à la société Action architecture, devenue Action archi Arnaud architectes associés (la société Action), assurée auprès de la Mutuelle des architectes de France (la MAF), la maîtrise d’oeuvre de la construction d’un bâtiment à usage commercial et de bureaux.

4. Sont intervenues à l’opération de construction, la société Rochereau, désormais radiée du registre du commerce et des sociétés, chargée du lot plâtrerie, plafonds, cloisons, isolation et menuiseries intérieures, assurée auprès de la société Axa France IARD (la société Axa), la société Remi Duvergt, devenue Duvergt-FBI, chargée du lot charpente métallique, assurée auprès des sociétés Allianz IARD et Generali IARD, et la société Bureau Veritas, devenu Bureau Veritas construction, en qualité de contrôleur technique.

5. Un procès-verbal de réception, avec des réserves, a été établi le 30 mai 2011.

6. La SCI a pris possession des lieux le 1er juin 2011 et l’ouverture commerciale est intervenue le 1er juillet suivant.

7. Des travaux de reprise de désordres ont été confiés à la société Rochereau.

8. Les 2 et 6 octobre 2011, la société Bureau Veritas a émis deux avis indiquant que les faux-plafonds du premier étage ne devaient pas être suspendus directement aux pannes Z de la charpente métallique mais à une structure spécifique supportée par les portiques de la structure principale.
9. La société Rochereau a assigné la SCI en paiement d’un solde de marché et la SCI a assigné l’assureur dommages-ouvrage, les intervenants à l’acte de construire et leurs assureurs en réparation.

10. Les instances ont été jointes et une expertise a été ordonnée.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal et sur le moyen des pourvois incidents des sociétés Axa et Bureau Veritas, rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé des moyens

11. Par leurs moyens respectifs, les sociétés MMA, Axa et Bureau Veritas font grief à l’arrêt de fixer la date de réception au 30 mai 2011 et de les condamner, in solidum avec d’autres parties, à payer à la SCI une somme au titre de la réparation des désordres de nature décennale, alors :

« 1°/ que la réception tacite doit résulter d’une manifestation non équivoque de la volonté du maître de l’ouvrage de recevoir l’ouvrage en l’état ; que pour fixer au 30 mai 2011 la réception tacite des travaux de plâtrerie inachevés du 1er étage et en conséquence condamner les MMA à indemnisation du désordre affectant les suspentes de structure métallique des ossatures sur les plafonds, qu’elle a considérés de nature décennale, la cour d’appel a déclaré que l’intégralité du montant du marché de la société Rochereau plâtrerie n’ayant pas été réglée par la SCI Foch 187, la présomption de réception ne s’appliquait pas, mais que cette somme correspondait essentiellement à la retenue de garantie valable jusqu’à mainlevée des réserves et que le maître d’ouvrage avait pris possession des lieux dans les premiers jours de juin 2011 et ouvert le commerce et l’accès au 1er étage le 1er juillet 2011, la pièce concernée par les désordres, initialement investie par son propriétaire n’ayant finalement pas été utilisée dans la seule attente des travaux de finition esthétiques et sans lien avec le risque d’effondrement du plafond ultérieurement décelé ; qu’en statuant ainsi cependant qu’il résultait de ses constatations que la SCI Foch 187, avait pris possession du 1er étage début juin 2011 en retenant le versement du solde du prix du marché, en paiement duquel la société Rochereau plâtrerie l’a assignée par acte du 15 mars 2012, un avis du Bureau Veritas des 2 et 6 octobre 2011 ayant entre temps informé le maître de l’ouvrage du désordre affectant les plafonds du 1er étage, peu important à cet égard que la SCI Foch 187 n’ait pas utilisé le 1er étage dans l’attente de la reprise des désordres esthétiques, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l’article 1792-6 du code civil ;

2°/ que le dommage futur ne peut revêtir une nature décennale que s’il est constaté qu’il portera atteinte à la solidité de l’immeuble ou le rendra impropre à sa destination avec certitude dans le délai décennal, même s’il est identifié dans ses causes à l’intérieur de ce délai d’épreuve ; que la cour d’appel a retenu, sur le désordre portant sur les suspentes de structure métallique des ossatures sur les plafonds, que l’expert « attest[ait] de la non-capacité de résistance des pannes Z où le plafond vient s’accrocher et affirm[ait] que “même si le désordre n'[était] pas constaté, si une surcharge climatique type neige survenait, il se déformerait et pourrait rompre” », de sorte qu’« en réalité, le désordre [était] déjà présent, seul le dommage, en l’occurrence l’effondrement, ne s'[étant] pas encore réalisé », « ce désordre tradui[sant] une impropriété à destination de l’ouvrage car les matériaux n’apparaissent pas suffisamment résistants pour supporter la charge qui [pesait] sur le plafond [et que] la stabilité de l’ouvrage était compromise » ; qu’en l’état du constat d’une absence de réalisation d’un quelconque dommage à raison des malfaçons affectant le plafond, la cour d’appel, dont les constatations ne permettaient pas de retenir l’existence d’une atteinte certaine à la solidité ou à la destination de l’ouvrage dans le délai décennal, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1792 et suivants du code civil. »

Réponse de la Cour

12. En premier lieu, la cour d’appel, qui a constaté que le procès-verbal de réception du 30 mai 2011 comportait des réserves, notamment sur les plafonds du premier étage et le faux plafond du rez-de-chausséee, a relevé, d’une part, que si des travaux de plâtrerie du premier étage n’étaient pas terminés, le maître de l’ouvrage avait pris possession des lieux dès les premiers jours du mois de juin 2011, y compris des locaux du premier étage qui avaient été aménagés, seule la réalisation de travaux de finition de nature exclusivement esthétique expliquant que ces locaux n’aient pas été immédiatement occupés et, d’autre part, que la partie du prix non réglée à cette date correspondait pour l’essentiel à la retenue de garantie dans l’attente de la levée des réserves, dont aucune ne concernait les suspentes et les problèmes d’accroche des faux-plafonds.

13. Elle a pu en déduire que la prise de possession de l’ouvrage et le paiement d’une partie substantielle du coût des travaux caractérisaient la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de le recevoir en son entier, peu important qu’une partie des travaux de finition du premier étage n’ait pas été achevée.

14. En second lieu, la cour d’appel a relevé que les suspentes de structure métallique des ossatures sur les plafonds avaient été fixées directement sur les pannes en Z et non sur la structure principale, contrairement aux préconisations du contrôleur technique, et que, selon l’expert, l’insuffisante résistance des pannes d’accroche, impropres à supporter une telle charge, compromettaient la stabilité de l’ouvrage en cas de surcharge climatique de type neige, avec un risque de déformation et de rupture.

15. Ayant ainsi fait ressortir le risque actuel pour la sécurité de l’ouvrage et de ses occupants qui rendait celui-ci impropre à sa destination dans le délai d’épreuve, elle a pu déduire de ces seuls motifs que le désordre était de gravité décennale.

16. Les moyens ne sont donc pas fondés… »

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