Dans un nouvel arrêt de la Chambre commerciale, quoi qu’inédit, la Cour de cassation revient de nouveau sur les rémunérations versées à un gérant de SARL, qui n’auraient pas été validées, même à postériori, par l’assemblée générale des associés.
Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 29 novembre 2023, 22-18.957, Inédit
Nouvelle jurisprudence importante en matière de rémunération des gérants de SARL.
I –
En réalité, le code de commerce ne réglemente pas les rémunérations versées au dirigeant de ce type de société, mais la pratique, installée par le droit prétorien, impose un certain formalisme depuis notamment le fameux arrêt du 25 Septembre 2012, N°11.22.754.
Au visa de l’article L223-18 du code de commerce, cet arrêt de principe est venu affirmer que les associés décident librement de la rémunération de leur gérant en SARL, soit dans les statuts, soit dans une décision collective.
Si prévoir la rémunération directement dans les statuts peut engendrer des difficultés structurelles, puisque ceux-ci doivent être modifiés, et republiés auprès du greffe à chaque modification, la pratique révèle davantage une fixation de la rémunération au sein d’une décision collective des associés.
Dans cet arrêt de 2012, un litige opposait l’acquéreur d’une SARL à ses deux anciens associés, dont l’un, gérant, avait perçu pendant de nombreuses années, une rémunération pour son mandat social, sans aucune décision collective.
L’ancien gérant défendait ces versements par l’argument selon lequel, ils s’inscrivaient dans une entente familiale, et que son épouse, coassociée, avait tacitement accepté leur principe. La Cour de cassation avait rejeté l’argument, considérant que ces rémunérations auraient du être validées en AG.
La décision est résumée comme suit, dans ses titrages et résumés :
« Encourt dès lors la cassation l’arrêt qui rejette la demande en paiement des sommes prélevées au titre de sa rémunération par le gérant d’une société à responsabilité limitée au motif que les seuls associés de cette société sont le gérant et son épouse et qu’il est sans intérêt de s’attacher à déterminer si les prélèvements critiqués ont été ou non autorisés par une assemblée générale ».
Un arrêt postérieur, du 15 Mars 2017 (N°14.17.873) est venu assoir cette première jurisprudence, en considérant de surcroit, que même si le principe d’une rémunération du gérant est prévu dans les statuts, elle doit quand même être soumise aux associés lors d’une assemblée générale, sans que celui-ci puisse invoquer l’argument selon lequel les rémunérations versées n’étaient pas exagérées.
Le régime juridique des rémunérations du gérant de SARL continue encore de s’établir progressivement puisque la jurisprudence est venue alors affirmer que le gérant ne peut réparer sa carence en demandant au tribunal de se substituer à l’assemblée générale des associés pour valider à posteriori les rémunérations perçues.
La sanction donc de cette carence est inévitable : le Gérant de la SARL doit rembourser les rémunérations qu’il a perçues pour les années non prescrites au jour de la demande formulée par l’associé, au titre de l’action Ut Singuli.
Par contre, il est acquis que la décision collective des associés permettant de valider les rémunérations perçues peut intervenir à posteriori (C.Cass, Com, 18 décembre 2019, N°18.13.850), cette souplesse en faveur du gérant n’est toutefois pas sans limite, c’est là tout l’enjeu de ce nouvel arrêt.
II-
Au cas d’espèce, un gérant associé unique de SARL décide de céder l’intégralité de ses parts sociales à une tierce société, avec signature d’une convention de garantie d’actif et de passif. Le lecteur verra d’ores et déjà venir le contentieux à cette simple introduction.
Quoi que schizophrénique, le droit prétorien applicable aux SARL, et rappelé ci-dessus, aurait exigé que le gérant associé unique s’autorise lui-même, chaque année, lors d’une assemblée générale, à se verser les montants perçus au titre de sa rémunération annuelle. Situation quelle que peu atypique : s’autoriser soi-même, par une assemblée générale ordinaire annuelle, peut paraitre superflu, au même titre que les autorisations de sortie que nous nous établissions nous même lors des confinements liés au COVID19.
En l’occurrence, le gérant a toujours validé ses rémunérations perçues, a posteriori, après chaque clôture de l’exercice concerné. Ce mode de fonctionnement était bien connu par l’acquéreur, qui avait eu connaissance au cours de la cession, de tous les éléments comptables utiles.
Mais au cours de la vente, le gérant a démissionné et perdu sa qualité d’associé, donc n’a pas pu régulariser la rémunération perçue au titre de la dernière année de détention des parts sociales, lors de l’assemblée générale ordinaire annuelle qui devait venir approuver les derniers comptes sociaux, comme il avait l’habitude de procéder.
L’acquéreur pourtant au fait de ces régularisations systématiquement a posteriori, a assigné l’ancien gérant en remboursement des rémunérations perçues durant la dernière année, outre les cotisations sociales y afférentes, et des dommages et intérêts pour préjudice moral.
La Cour d’Appel, bienveillante avec l’ancien gérant, considère :
« l’absence de décision de l’associé unique portant, pour l’exercice débuté le 1er avril 2018, approbation de la rémunération du gérant et mise à la charge de la [SARL] des cotisations sociales afférentes, n’est pas de nature à priver [l’ancien gérant] de sa rémunération et à justifier en conséquence le remboursement des sommes versées à ces titres ».
L’acquéreur des parts sociales, et la SARL lui en font grief, au motif que :
« 6. En statuant ainsi, par des motifs inopérants tirés de ce que le gérant était l’associé unique de la [SARL] et était de bonne foi, alors qu’elle avait constaté qu’il résultait des statuts de cette société que la rémunération du gérant était déterminée par décision collective des associés et que les sommes en litige n’avaient pas été autorisées par une telle décision, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé. »
Ils se pourvoient en cassation, considérant que même si l’ancien gérant avait l’excuse de plus être associé au moment de la régularisation habituelle de sa rémunération de l’année passée, cela n’écartait l’obligation qui était la sienne, de la faire voter en assemblée générale.
III-
Dans le strict prolongement de ses précédentes prises de position en la matière, la Haute Cour est venue censurer ses confrères du fond, pour considérer que l’impossibilité matérielle pour l’ancien gérant, qui a perdu sa qualité d’associé du fait de la cession intégrale de ses parts sociales, de régulariser a posteriori sa rémunération perçue ne saurait justifier l’absence de remboursement de celle-ci.
L’acquéreur des parts sociales n’est pas tenu de se conformer à l’habitude du cédant.
La Cour de cassation réaffirme haut et fort : Toute rémunération de gérant de SARL qui n’est pas soumise à l’assemblée générale des associés peut fait l’objet d’une demande de remboursement, outre les cotisations sociales y afférentes.
Le Lecteur sera vigilant, en cas de cession intégrale de ses parts sociales de SARL, il sera nécessaire de régulariser la situation avant le jour de la signature.
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