Source : Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 5 juin 2020, n°423809
Les faits :
La SAS ATLANTIQUE NEGOCE, qui a pour activité le négoce de ciment, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2009, à l’issue de laquelle l’administration fiscale, après avoir relevé que la société déclarait avoir versé au cours de l’année 2007 des dividendes à sa société mère de droit luxembourgeois, a mis à sa charge une retenue à la source au taux de 25% à raison des dividendes ainsi distribués.
En l’espèce, la société SAS ATLANTIQUE NEGOCE avait versé les dividendes sur un compte bancaire en Suisse et l’administration fiscale contestait le fait que la société mère luxembourgeoise ait été le bénéficiaire effectif des dividendes en litige en l’absence d’élément, tel qu’un relevé d’identité bancaire, établissant que cette société était bien la titulaire du compte bancaire ouvert en Suisse.
Le tribunal de Montreuil ainsi que la Cour administrative d’appel de Versailles ont rejeté la demande de la société tendant à la décharge de cette retenue à la source ainsi que des pénalités correspondantes.
La décision du Conseil d’Etat :
Le Conseil d’Etat rappelle les dispositions applicables en l’espèce de la directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal applicable aux sociétés mères et filiales d’Etats membres différents. Aux termes de l’article 5 de cette directive « Les bénéfices distribués par une filiale à sa société mère sont exonérés de retenue à la source ».
L’article 119 ter du CGI, pris pour la transposition de la directive précitée, énonce :
« 1. La retenue à la source prévue au 2 de l’article 119 bis n’est pas applicable aux dividendes distribués à une personne morale qui remplit les conditions énumérées au 2 du présent article par une société ou un organisme soumis à l’impôt sur les sociétés au taux normal.
2. Pour bénéficier de l’exonération prévue au 1, la personne morale doit justifier auprès du débiteur ou de la personne qui assure le paiement de ces revenus qu’elle est le bénéficiaire effectif des dividendes et qu’elle remplit les conditions suivantes :
a) Avoir son siège de direction effective dans un État membre de la Communauté européenne et n’être pas considérée, aux termes d’une convention en matière de double imposition conclue avec un État tiers, comme ayant sa résidence fiscale hors de la Communauté ;
b) Revêtir l’une des formes énumérées sur une liste établie par arrêté du ministre chargé de l’économie conformément à l’annexe à la directive du Conseil des communautés européennes n° 90-435 du 23 juillet 1990 modifiée par la directive 2003/123/CE du Conseil, du 22 décembre 2003 ;
c) Détenir directement, de façon ininterrompue depuis deux ans ou plus, 25 p. 100 au moins du capital de la personne morale qui distribue les dividendes, ou prendre l’engagement de conserver cette participation de façon ininterrompue pendant un délai de deux ans au moins […] ;
d) Être passible, dans l’État membre où elle a son siège de direction effective, de l’impôt sur les sociétés de cet État, sans possibilité d’option et sans en être exonérée. […]
3. Les dispositions du 1 ne s’appliquent pas lorsque les dividendes distribués bénéficient à une personne morale contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d’États qui ne sont pas membres de la Communauté, sauf si cette personne morale justifie que la chaîne de participations n’a pas comme objet principal ou comme un de ses objets principaux de tirer avantage des dispositions du 1 […]. »
La question était de savoir si la condition imposée par le CGI tenant à ce que la société mère justifie auprès du débiteur (sa filiale) qu’elle est le bénéficiaire effectif des dividendes, était compatible avec les objectifs de la directive mère-fille ?
Le Conseil d’Etat se réfère à la décision de la CJUE du 26 février 2019 Skatteministeriet contre T Danmark et Y Denmark Aps (aff. C-116/16 et C-117/16, point 113) pour répondre par l’affirmative.
Dans les motifs de l’arrêt précité, la CJUE relève que les mécanismes de la directive mère-fille, en particulier son article 5, sont « conçus pour des situations dans lesquelles, sans leur application, l’exercice par les États membres de leurs pouvoirs d’imposition pourrait conduire à ce que les bénéfices distribués par la société filiale à sa société mère soient soumis à une double imposition […]. De tels mécanismes n’ont en revanche pas vocation à s’appliquer lorsque le bénéficiaire effectif des dividendes est une société ayant sa résidence fiscale en dehors de l’Union puisque, dans un tel cas, l’exonération de la retenue à la source desdits dividendes dans l’État membre à partir duquel ils sont versés risquerait d’aboutir à ce que ces dividendes ne soient pas imposés de façon effective dans l’Union ».
Le Conseil d’Etat en déduit que la qualité de bénéficiaire effectif des dividendes est une condition du bénéfice de l’exonération de retenue à la source.
En conséquence, aucune des pièces produites par la requérante n’étant de nature à établir que la société mère a effectivement appréhendé les dividendes, le Conseil d’Etat rejette le pourvoi.