Entente : la responsabilité d’une filiale peut-elle être recherchée en lieu et place de la société-mère ?

Vianney DESSENNE
Vianney DESSENNE - Avocat

Source : ARRÊT DE LA COUR (grande chambre), 6 octobre 2021

 

Par un arrêt rendu le 6 octobre 2021, la CJUE est venue préciser les conditions dans lesquelles les victimes d’une pratique anticoncurrentielle d’une société sanctionnée par la Commission sont en droit d’engager, dans le cadre d’actions en dommages et intérêts introduites devant des juridictions nationales, la responsabilité civile de sociétés filiales de la société sanctionnée qui ne sont pas visées par la décision de la Commission.

 

Conformément à une jurisprudence constante, toute personne est en droit de demander aux « entreprises » ayant participé à une entente ou à des pratiques interdites au titre de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), prohibant toutes pratiques qui ont pour effet ou pour objet d’empêcher, restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur, la réparation du préjudice causé par ces pratiques anticoncurrentielles.

 

Selon la jurisprudence de la Cour, la notion d’ « entreprise » au sens de l’article 101 TFUE comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement, et désigne ainsi une unité économique, même si, du point de vue juridique, cette dernière est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales.

 

Ainsi, lorsqu’il est établi qu’une société appartenant à une telle unité économique a violé l’article 101 TFUE, de telle sorte que l’ « entreprise » dont elle fait partie a commis l’infraction à cette disposition, la notion d’« entreprise » et, à travers elle, celle d’« unité économique » entraînent de plein droit une responsabilité solidaire entre les entités qui composent l’unité économique au moment de la commission de l’infraction.

 

À cet égard, la Cour relève que la notion d’« entreprise » employée à l’article 101 TFUE est une notion fonctionnelle, de sorte que l’unité économique qui la constitue doit être identifiée du point de vue de l’objet de l’accord en cause.

 

Ainsi, lorsque l’existence d’une infraction à l’article 101 TFUE a été établie à l’égard d’une société mère, il est loisible à la victime de cette infraction de chercher à engager la responsabilité civile d’une société filiale de cette société mère à condition que la victime prouve que, eu égard, d’une part, aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques et, d’autre part, à l’existence d’un lien concret entre l’activité économique de cette société filiale et l’objet de l’infraction dont la société mère a été tenue responsable, ladite filiale constituait avec sa société mère une unité économique.

 

Toutefois, dans le cadre d’un tel recours en indemnisation introduit à l’encontre de la société filiale d’une société mère dont la violation de l’article 101 TFUE a été constatée, la société filiale doit disposer devant le juge national concerné de tous les moyens nécessaires à l’exercice utile de ses droits de la défense, en particulier pour pouvoir contester son appartenance à la même « entreprise » que sa société mère.

 

Cela étant, lorsqu’une action en dommages et intérêts s’appuie, comme en l’espèce, sur la constatation par la Commission d’une infraction à l’article 101 TFUE dans une décision adressée à la société mère de la société filiale défenderesse, cette dernière ne saurait contester, devant le juge national, l’existence de l’infraction ainsi constatée par la Commission.

 

En revanche, lorsqu’aucun comportement infractionnel de la société mère n’a été constaté par la Commission dans une décision rendue en application de l’article 101 TFUE, la société filiale est naturellement en droit de contester non seulement son appartenance à la même « entreprise » que sa société mère, mais également l’existence de l’infraction reprochée à cette dernière.

 

En dernier lieu, la possibilité, pour le juge national, de constater une éventuelle responsabilité de la société filiale pour les préjudices causés n’est pas exclue du simple fait que, le cas échéant, la Commission n’a adopté aucune décision ou que la décision par laquelle elle a constaté l’infraction n’a pas infligé à cette société une sanction administrative.

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