Entente et abus de position dominante par une filiale

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

  

SOURCE : Cass. com., 6 janv. 2015, n° 13-21.305 et 13-22.477

 

Dans le cadre de l’ouverture du marché de la téléphonie, l’Autorité de la Concurrence a été saisie d’une plainte de Bouygues à l’encontre d’Orange et de sa société mère, France Télécom, au titre d’une violation, sur le marché Antilles – Guyane, du droit national et européen des ententes et abus de position dominante (L420-1 et L420-2 du Code de commerce, TFUE art 101 et 102).

 

 La solidarité mère – fille

 

Pour retenir la responsabilité solidaire de la société mère (France télécom) aux cotés de sa filiale (Orange), l’Autorité de la Concurrence, rappelle que selon la jurisprudence européenne[1], une société mère peut être considérée comme solidairement responsable avec les autres entités du groupe, des infractions au droit de la concurrence, sans qu’il soit requis d’établir l’implication personnelle de la société mère dans l’infraction.

 

C’est le cas lorsque cette dernière exerce une influence déterminante sur les filiales qui ont participé à l’infraction. Tel est le cas lorsqu’une société mère détient 100% du capital de la filiale de sorte que la société mère est présumée exercer effectivement une telle influence[2]

 

Pour renverser cette présomption simple ou « réfragable », il appartient à la société mère de démontrer l’autonomie de la filiale.

 

Pour France Télécom, Orange disposait d’une certaine indépendance dans la définition de sa stratégie commerciale, financière et technique en tenant compte des spécificités du marché local. Ces allégations n’ont convaincu, ni l’Autorité de la Concurrence, ni les juridictions civiles, qui ont retenu qu’outre une détention de la quasi-totalité du capital d’Orange par France Télécom, l’équipe dirigeante d’Orange est formée de personnels de France Télécom, tout comme son conseil d’administration, que les deux sociétés étaient présentées à certains clients comme un seul groupe, et que la société mère intervient activement dans la promotion et la diffusion des produits de la fille.

 

France Télécom et Orange faisant ainsi partie d’une même unité économique et formant ainsi une seule entreprise au sens de l’article 101 TFUE, elle doivent intervenir solidairement à la procédure.

 

Les griefs

  

Ils sont nombreux, et concernent des engagements d’exclusivité, des pratiques de fidélisation et de discrimination tarifaire ayant conduit à freiner le développement d’opérateurs concurrents et à verrouiller le marché :

 

 Les engagements d’exclusivité.

 

Il s’agissait pour Orange, d’interdire les points de vente de téléphonie et les sociétés de réparation de contracter auprès d’autres opérateurs, par des clauses d’exclusivité et de non concurrence dissuasives.

 

Mêmes si ces clauses n’ont, selon Orange, pas été appliquées, l’Autorité et les juridictions civiles ont considéré qu’elles établissaient des barrières techniques destinées à empêcher l’installation de concurrents sur le marché qu’elle dominait, et ainsi, devaient être sanctionnées.

 

Les discriminations tarifaires

 

L’Autorité, donc la décision a été confirmée par les juridictions civiles, a sanctionné Orange et France Télécom pour leur politique tarifaire, selon laquelle le coût des appels sortants vers un autre opérateur (appel off net) étaient 10 fois plus élevé que celui vers le même opérateur (appels on net). Cette politique ne pouvant objectivement être justifiée par l’existence de transferts internes, elle a indument conduit à 3 types d’effets anticoncurrentiels : un renforcement de l’effet réseau d’Orange, une dégradation de l’image des sociétés concurrentes, jugées trop chères, et des effets sur les revenus et la marge des opérateurs concurrents puisque les clients étaient incités à réduire leur communication vers des réseaux tiers.

 

Les pratiques de fidélisation

 

Ont également été sanctionnées les offres Améris relatif aux flottes de véhicules, et « changer de mobile, qui permettait aux clients Orange de changer de mobile grace à des points de fidélités et réengagement pour 24 mois.

 

La sanction et la réitération

  

Puisqu’il suffit que l’entente « puisse avoir pour effet » d’entraver le jeu normal de la concurrence, le simple état des griefs, non valablement contestés par Orange, suffit à ce que les pratiques soient sanctionnées, peu importe que ces pratiques aient abouti conformément au attente de l’auteur, ou non et même si cet effet potentiel est difficilement mesurable[3].

 

Ces griefs ont donc conduit à la condamnation solidaire d’Orange et de France Télécom.

 

Pour fixer le montant de la sanction pécuniaire, l’Autorité de la Concurrence, a appliqué les règles relatives à la réitération puisque France Télécom avait déjà été sanctionnée à 5 reprises[4] pour des faits d’entente et d’abus de position dominante qui tendaient à empêcher, entraver ou freiner l’entrée sur un marché de nouveaux concurrents, qu’il y a lieu de retenir, dès lors que la réitération peut être retenue lorsque les nouvelles pratiques sont identiques ou similaires par leur objet ou leurs effets à celles ayant donné lieu au précédent constat d’infraction.

 

Saisie du litige, la Cour de cassation entérine la position de l’Autorité de la Concurrence :

 

« la qualification de la réitération n’exige pas que les infractions commises soient identiques quant à la pratique mise en oeuvre ou quant au marché concerné, qu’il s’agisse du marché de produits ou services ou du marché géographique, et qu’elle peut être retenue pour de nouvelles pratiques identiques ou similaires, par leur objet ou leurs effets, à celles ayant donné lieu au précédent constat d’infraction ; qu’après avoir retenu que la société France Telecom et sa filiale formaient une entreprise au sens des articles précités (…), la cour d’appel, qui a caractérisé la propension de l’entreprise à s’affranchir des règles de la concurrence en réitérant des infractions de même type, a légalement justifié sa décision ; »

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats

 


[1] CJUE, 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a. / Commission, C-97/08 P

[2]CJUE 19 juillet 2012, Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., C-628/10P et C-14/11P.

[3]Cons. conc., déc. no 89-D-06, 7 mars 1989

[4] Conseil de la concurrence n° 94-D-21 du 22 mars 1994;Conseil de la concurrence n° 97-D-53 du 1er juillet 1997 ; Cour d’appel de Paris du 29 juin 1999;Conseil de la concurrence n° 01-D-46 du 23 juillet 2001 ; Conseil de la concurrence n° 05-D-59 du 7 novembre 2005

 

 

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