Cass. 3e civ, 4 décembre 2025, n°23-23.357
Les obligations du bailleur de délivrance et de jouissance paisible constituent des obligations essentielles du contrat de bail, exigibles pendant toute sa durée. Lorsque le manquement du bailleur se prolonge dans le temps, le locataire est fondé à en solliciter l’exécution forcée, sans que la prescription extinctive puisse lui être opposée.
Par un arrêt de censure du 4 décembre 2025, la Cour de cassation confirme avec force cette analyse, en réaffirmant que le caractère continu des obligations du bailleur fait obstacle à la prescription de l’action du locataire tant que le manquement perdure.
1. Une solution désormais solidement ancrée : la continuité des obligations du bailleur
Il s’agit de la seconde affirmation récente de ce principe par la troisième chambre civile, après un arrêt du 10 juillet 2025 rendu à propos d’une action en résiliation du bail. Dans cette décision, publiée au Bulletin et assortie d’un attendu de principe, la Cour avait déjà jugé que le manquement du bailleur à ses obligations de délivrance et de jouissance paisible, dès lors qu’il se prolonge, empêche le point de départ de la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil (Cass. 3e civ., 10 juill. 2025, n° 23-20.491).
La similitude entre les deux arrêts est manifeste : mêmes visas (C. civ., art. 1709, 1719 et 2224), même raisonnement, même affirmation du caractère continu de ces obligations. Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante, déjà affirmée de longue date (Cass. 3e civ., 28 nov. 2007, n° 06-17.758) et confirmée récemment encore (Cass. 3e civ., 16 mai 2024, n° 23-12.438 ; Cass. 3e civ., 27 juin 2024, n° 23-15.226).
2. Une différence d’objet : exécution forcée plutôt que résiliation
Si la logique juridique est identique, l’objet de l’action diffère. Dans l’arrêt du 10 juillet 2025, le locataire sollicitait la résiliation du bail. Dans la décision du 4 décembre 2025, il entendait au contraire poursuivre la relation contractuelle, tout en obtenant la condamnation du bailleur à exécuter ses obligations.
En l’espèce, un bail commercial avait été conclu en 2012. En 2020, le preneur a assigné son bailleur sur le fondement de l’article 1755 du code civil afin d’obtenir la réalisation de travaux de réparation rendus nécessaires par la vétusté des locaux (toiture, façades et voirie) ainsi que l’indemnisation de ses préjudices.
La cour d’appel a rejeté cette demande (Cour d’appel de Riom, ch. com., 20 sept. 2023, n° 22/00159).
3. Le raisonnement censuré de la cour d’appel : vétusté connue et prescription acquise
Pour débouter le locataire, les juges du fond ont retenu :
- que le preneur connaissait parfaitement les locaux lors de la conclusion du bail, l’état de vétusté étant « connu et apparent » et n’ayant pas empêché l’exploitation du fonds, ce qui caractériserait le respect de l’obligation de délivrance ;
- que l’action était en tout état de cause prescrite, faute d’avoir été engagée dans le délai de cinq ans suivant la signature du bail, en application de l’article 2224 du code civil.
4. La censure : persistance du manquement et indifférence de la connaissance des lieux
La Cour de cassation censure cette décision pour manque de base légale. Elle rappelle, dans un attendu de principe, que la persistance du manquement aux obligations de délivrance et de jouissance paisible constitue un fait permettant au locataire d’exercer une action en exécution forcée.
Elle reproche à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si, au jour de l’assignation, le bailleur manquait encore à son obligation de délivrance en raison de la vétusté des locaux, indépendamment de la connaissance initiale qu’en avait le preneur.
Cette solution s’inscrit dans le droit fil d’une jurisprudence bien établie selon laquelle :
- une clause d’acceptation des lieux en l’état ne dispense pas le bailleur de son obligation de délivrance conforme (Cass. 3e civ., 5 juin 2002, n° 00-19.037 ; Cass. 3e civ., 30 juin 2021, n° 17-26.348) ;
- le bailleur demeure tenu d’assurer l’entretien et la conformité du bien loué pendant toute la durée du bail, même lorsque les désordres étaient apparents lors de l’entrée dans les lieux (Cass. 3e civ., 12 juin 2001, n° 00-12.634).
5. Portée de la décision : sécurisation des actions du preneur
En consacrant une nouvelle fois le caractère continu des obligations de délivrance et de jouissance paisible, la Cour de cassation offre une protection renforcée au locataire. Tant que le bailleur persiste dans son manquement, l’action en exécution forcée demeure recevable, sans que la prescription puisse être utilement invoquée.
Cette décision confirme que la connaissance initiale de la vétusté par le preneur est indifférente dès lors que le bailleur n’exécute pas ses obligations essentielles, et qu’il appartient au juge du fond d’apprécier la situation au jour de l’action, et non à la seule date de conclusion du bail.

