Déclaration Notariée d’Insaisissabilité (DNI) et procédure collective : le droit de poursuite du créancier auquel la déclaration est inopposable confronté versus l’interdiction du paiement des créances antérieures

Thomas LAILLER
Thomas LAILLER

Source : Cass. com., 7 octobre 2020, n° 19-13.560, F-P+B

 

Mais la haute juridiction précise surtout que si le créancier auquel la déclaration d’insaisissabilité d’un immeuble est inopposable bénéficie d’un droit de poursuite sur cet immeuble, il n’en demeure pas moins soumis au principe d’ordre public de l’arrêt des poursuites ainsi qu’à l’interdiction de recevoir paiement des créances dont la naissance est antérieure au jugement d’ouverture, de sorte que s’il doit être en mesure d’exercer le droit qu’il détient sur l’immeuble en obtenant un titre exécutoire par une action contre le débiteur tendant à voir constater l’existence, le montant et l’exigibilité de sa créance, cette action ne peut tendre au paiement de celle-ci.

 

I – Bref rappel des termes du débat

 

Dès sa mise en place en 2003, la déclaration notariée d’insaisissabilité (DNI) suscitait des interrogations sur son efficacité en cas de procédure collective de l’entrepreneur individuel. Se posait plus précisément la question de l’opposabilité de la déclaration notariée d’insaisissabilité à la liquidation judiciaire du déclarant. La Cour de cassation s’était d’abord fondée implicitement sur l’étendue de l’effet réel de la procédure pour affirmer l’efficacité de principe de la déclaration d’insaisissabilité de l’immeuble hors procédure[1], pour ensuite se situer sur le terrain de la qualité à agir du mandataire judiciaire, pour dénier au liquidateur le droit d’agir en inopposabilité dès lors qu’il ne peut légalement le faire que pour la défense de l’intérêt collectif des créanciers, et non d’un groupe de créanciers, sachant qu’en application de l’article L.526-1 du Code de commerce, la déclaration d’insaisissabilité n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent, postérieurement à sa publication, à l’occasion de l’activité[2].

 

Cette lecture processuelle s’était donc tout logiquement étendue à l’action paulienne[3], ou encore à la licitation partage de l’immeuble indivis déclaré insaisissable[4]. Seule était permise l’inscription d’une hypothèque judiciaire sur l’immeuble[5], ou encore la contestation de la régularité de la DNI, à l’appui d’une demande tendant à reconstituer le gage commun des créanciers[6]. Le corolaire à tout cela est que le créancier auquel la DNI n’est pas opposable peut poursuivre la saisie de l’immeuble soustrait aux règles de la liquidation judiciaire[7].

 

Le principe était donc posé : le liquidateur ne peut agir que s’il représente tous les créanciers, et pas seulement certains d’entre eux, à qui notamment la déclaration serait inopposable. Cependant le passif est généralement composé à la fois de créanciers auxquels la déclaration est inopposable (créanciers professionnels antérieurs à la déclaration et créanciers non professionnels) et de créanciers auxquels elle est opposable (créanciers professionnels postérieurs à la déclaration), ce qui prive donc le liquidateur de la faculté d’agir en inopposabilité et/ou aux fins de vente de l’immeuble, puisqu’il n’agit pas dans l’intérêt de tous les créanciers. Pour que le liquidateur puisse agir ainsi, le passif devrait être exclusivement composé de créanciers auxquels la déclaration d’insaisissabilité est inopposable (créanciers professionnels antérieurs à la déclaration et créanciers non professionnels), ce qui n’est jamais le cas en pratique.

 

II – L’espèce

 

Une banque a consenti un prêt à un entrepreneur individuel, le 03 janvier 2006. Celui-ci a fait publier une déclaration d’insaisissabilité de sa résidence principale le 03 mai 2010. Il a été mis en liquidation judiciaire le 07 octobre 2014, la procédure étant clôturée le 03 novembre 2015. La banque, qui avait, sur autorisation du juge de l’exécution, fait inscrire, le 09 novembre 2014, une hypothèque judiciaire provisoire sur l’immeuble a, le 16 novembre suivant, assigné le débiteur en paiement de sa créance.

 

Ce dernier a opposé l’irrecevabilité de la demande et sollicité la mainlevée de l’hypothèque judiciaire provisoire. La cour d’appel ayant rejeté la demande de mainlevée de l’hypothèque provisoire, le débiteur a formé un pourvoi en cassation.

 

III – L’arrêt de rejet

 

La Cour de cassation approuve l’arrêt d’appel sur un point. D’abord la Haute juridiction rappelle qu’un créancier auquel une déclaration d’insaisissabilité d’un immeuble est inopposable peut exercer son droit de poursuite sur celui-ci indépendamment de ses droits dans la procédure collective du propriétaire de cet immeuble. Il en résulte donc que rien ne lui interdit, tant que sa créance n’est pas prescrite, de faire inscrire une hypothèque provisoire sur ce bien dans les conditions du droit commun, lequel s’applique aussi à la demande de mainlevée d’une telle mesure conservatoire.

 

Mais sur un moyen relevé d’office, la cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa des articles L. 526-1, L. 622-7 et L. 622-21 du Code de commerce, et dit pour droit que si le créancier auquel la déclaration d’insaisissabilité d’un immeuble est inopposable bénéficie d’un droit de poursuite sur cet immeuble, il n’en demeure pas moins soumis au principe d’ordre public de l’arrêt des poursuites ainsi qu’à l’interdiction de recevoir paiement des créances dont la naissance est antérieure au jugement d’ouverture.

 

Dès lors, il en résulte que, s’il doit être en mesure d’exercer le droit qu’il détient sur l’immeuble en obtenant un titre exécutoire par une action contre le débiteur tendant à voir constater l’existence, le montant et l’exigibilité de sa créance[8]cette action ne peut tendre au paiement de celle-ci.

 

Or, pour condamner le débiteur à payer la banque, l’arrêt d’appel retient que celle-ci, à laquelle la DNI était inopposable, est bien fondée à agir individuellement contre la débitrice aux fins d’obtenir un titre exécutoire portant condamnation. Dès lors, en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes visés :  elle aurait dû se borner à constater l’existence, le montant et l’exigibilité de la créance, sans prononcer de condamnation à paiement.

 

La déclaration notariée d’insaisissabilité n’a pas été adaptée à l’hypothèse de la liquidation judiciaire de l’entrepreneur individuel, ce qui lui vaut depuis son origine une série de critiques… qui perdure 17 années après sa création, les questions sur son articulation avec les procédures collectives n’ayant pas encore toutes trouvées toutes leur réponse, la décision ci-commentée en témoignant.

 

[1] Cass. com. 28 juin 2011, n°10-15.482, FS-P+B+R+I

 

[2] Cass. com. 13 mars 2012, n°11-15.438, FS-P+B

 

[3] Cass. com., 23 avril 2013, n°12-16.035, FS-P+B ; Décision anéantie depuis l’ordonnance du 12 mars 2014 et pour les procédures collectives ouvertes postérieurement au 1er juillet 2014 : la déclaration notariée d’insaisissabilité de la résidence principale ou d’autres immeubles est désormais expressément mentionnée au rang des actes susceptibles d’être annulés (nullité de plein droit postérieurement à la date de cessation des paiements, nullité « facultative » dans les 6 mois qui précèdent selon l’article L.632-1 du Code de commerce)

 

[4] Cass. com., 30 juin 2015, n°14-14.757, F-D, Cass. com. 10 juillet 2019, n° 18-16.867, F-PB

 

[5] Cass. com., 11 juin 2014, n°13-13.643, FS-P+B

 

[6] Cass. com., 15 novembre 2016, n°14-26.287, FS-P+B+I

 

[7] Cass. com. 5 avril 2016, n°14-24.640, FS-P+B

 

[8] Cass. com., 13 septembre 2017, n° 16-10.206, FS-P+B+I

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