Déclaration de créance, relevé de forclusion et omission de la liste des créanciers

Thomas LAILLER
Thomas LAILLER

Source : Cass. com., 16 juin 2021, n° 19-17.186, n° 587 B

 

I – L’espèce

 

Un jugement du 15 juin 2015 a arrêté le plan de cession des actifs de la société DECS, en redressement judiciaire, au profit d’un acquéreur avec faculté de substitution au bénéfice de la Société de participations industrielles et commerciales (la société SPIC). Par un jugement du 24 juin 2015, la société DECS a été mise en liquidation judiciaire, la société BTSG, ultérieurement remplacée par la société Alliance, étant désignée en qualité de liquidateur.

 

Par un jugement du 28 juillet 2016, publié au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC) le 9 août 2016, la société SPIC a été mise en redressement judiciaire. Cette procédure collective a été convertie en liquidation judiciaire par un jugement du 7 novembre 2016, la société Moyrand, ensuite remplacée par la société MJA, étant désignée en qualité de liquidateur. La résolution du plan de cession, qui n’avait pas été exécuté, a été prononcée le 22 novembre 2016.

 

Le 9 février 2017, le liquidateur de la société DECS a présenté au juge-commissaire de la procédure collective de la société SPIC une requête en relevé de forclusion en vue de déclarer une créance, demande acceptée par le juge-commissaire, et validée par la Cour d’appel de PARIS. La liste des créances n’avait pas été établie.

 

II – Le pourvoi en cassation

 

Le liquidateur de la société SPIC fait grief à l’arrêt de relever de la forclusion le liquidateur de la société DECS, alors « que dès lors que le caractère volontaire de l’omission d’une créance ou du défaut de remise de la liste des créanciers n’est pas démontré, le créancier qui sollicite le relevé de forclusion est tenu d’établir l’existence d’un lien de causalité entre ladite omission et la tardiveté de sa déclaration de créance ; qu’en l’espèce, la cour d’appel s’est pourtant bornée à relever que “le créancier qui n’a pas déclaré sa créance dans le délai de deux mois prévu par l’article R. 622-24 du code de commerce du fait de l’absence de remise de la liste par le débiteur doit être relevé de la forclusion encourue” ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher si la société Alliance, ès qualités, établissait un lien de causalité entre l’omission par le débiteur et la tardiveté de sa déclaration de créance, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l’article L. 662-26 du code de commerce. »

 

La Cour de cassation répond qu’il résulte de l’article L. 622-26, alinéa 1er, du Code de commerce, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, que lorsqu’un débiteur s’est abstenu d’établir la liste prévue au deuxième alinéa de l’article L. 622-6 de ce code ou que, l’ayant établie, il a omis d’y mentionner un créancier, le créancier omis, qui sollicite un relevé de forclusion, n’est pas tenu d’établir l’existence d’un lien de causalité entre cette omission et la tardiveté de sa déclaration de créance.

 

Le pourvoi est donc rejeté, la cour d’appel ayant constaté que les dirigeants de la société SPIC n’avaient pas remis au mandataire judiciaire la liste des créanciers de cette société, retenant que cette absence de remise a produit les mêmes effets que l’omission d’un créancier sur cette liste.

 

L’arrêt ci-commenté confirme une solution déjà consacrée par la Cour régulatrice : le fait pour le débiteur soumis à une procédure collective de ne pas remettre à l’administrateur et au mandataire judiciaire ou au liquidateur la liste de ses créanciers ou d’omettre l’un de ceux-ci de la liste suffit pour que le ou les créanciers concernés soient relevés de la forclusion qu’ils ont encourue pour déclaration tardive de leur créance[1].

 

C’est une première cependant depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, qui a modifié l’article L. 622-26 du code de Commerce. L’article L. 622-26, alinéa premier, du Code de commerce prévoit en effet deux cas de relevé de forclusion.  Le créancier peut établir que sa défaillance n’était pas due à son fait, parce qu’il ignorait légitimement l’existence du jugement d’ouverture (ce qui est rarement admis compte tenu de sa publication au BODACC) ou parce qu’il ignorait la naissance même de sa créance, qui était subordonnée à des conditions non encore remplies. Le texte prévoit également la remise à l’administrateur et au mandataire judiciaire ou au liquidateur, selon le cas, de la liste de ses créanciers et du montant de ses dettes. En conséquence, si un créancier établit que sa défaillance à déclarer sa créance dans le délai légal est due à son omission de la liste par le débiteur, il obtiendra le relevé de la forclusion.

 

Le texte, dans sa rédaction initiale, exigeait que l’omission soit volontaire et c’était au créancier d’apporter la preuve de ce caractère volontaire, ce qui était une preuve difficile à apporter, s’agissant d’un fait négatif. Elle a donc été supprimée par l’ordonnance du 12 mars 2014 précitée. Depuis, l’article L. 622-26, alinéa premier du Code de commerce dispose simplement que : « A défaut de déclaration dans les délais impartis […], les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion s’ils établissent que leur défaillance |…] est due à une omission du débiteur lors de l’établissement de la liste […] ». Les créanciers n’ont donc plus à justifier que leur omission a été volontaire. Il suffit de constater objectivement qu’elle existe, du seul fait que leur nom ne figure pas sur la liste.

 

La Cour de cassation fait donc de l’omission un cas de relevé de forclusion automatique, présumant en quelque sorte l’existence du lien de causalité et ce d’une manière irréfragable, ne supportant donc par conséquent, aucune preuve contraire.  Le créancier omis de la liste obtenait nécessairement d’être relevé de la forclusion, sans aucun pouvoir d’appréciation laissé au juge-commissaire. Le nouveau texte, comme l’arrêt s’inscrivent assurément dans un courant favorable à la protection des créanciers.

 

[1] Cass. com., 10 janv. 2012,  n° 10-28.501, n° 17 P+B

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