Source : Cass. 3ème, 19 janvier 2022 n° 20-22.205 – FS-B
I –
Le contrat de société est régi par les dispositions des articles 1832 et suivants du Code Civil. Les dispositions des articles 1845 et suivants du même Code s’appliquent ainsi à toutes les sociétés civiles, à moins qu’il n’y soit dérogé par un statut légal particulier auquel certaines d’entre elles sont assujetties.
Les lecteurs de Chronos identifieront, évidemment, les sociétés commerciales par la forme que pourraient être les SA, les SARL, les SAS, etc…
En effet, ont le caractère civil, toutes les sociétés auxquelles la loi n’attribue pas un autre caractère à raison de leur forme, de leur nature ou de leur objet.
Sous le titre « engagement des associés à l’égard des tiers », les dispositions de l’article 1857 du Code Civil et de l’article 1860 du même Code, fixent le droit commun des sociétés en vertu desquelles chaque associé est tenu indéfiniment sur ses biens propres au paiement des dettes de la société, proportionnellement à sa part dans le capital social.
Pour les praticiens, cette règle interpelle, de premier chef, sur les risques encourus par les associés de société civile à prépondérance immobilière. Mais la solidarité des associés ne se limite pas à cette société. On identifiera les associés des groupements d’intérêts économiques (GIE) en vertu de l’article L.251-1 du Code de Commerce, et l’article L.251-23 du même Code, que leur activité soit civile ou commerciale[1], les sociétés civiles professionnelles en vertu de l’article 15 de la loi n° 66-879 du 22 novembre 1966. Il faut également ajouter les associés des SNC au visa de l’article l.221-1 du Code de Commerce[2], auxquels, les associés commandités des sociétés en commandite par actions (SCA) et sociétés en commandite simple (SCS) responsables du passif de la société indéfiniment et solidairement (etc).
Cette responsabilité des associés s’inscrit dans un principe dit de subsidiarité[3], conditionné à la démonstration préalable par le créancier qui veut agir contre les associés de vaines poursuites.
De ce principe, découle d’abord la justification d’un droit du créancier, non prescrit, ou lorsque, comme c’est le cas dans la plupart du temps lorsque la société fait l’objet d’une procédure collective, de la justification d’une déclaration de créance effectuée dans les délais de la loi[4].
Cette notion de vaines poursuites est un casse-tête pour les créanciers. En effet, ne constituent pas traditionnellement des vaines poursuites :
Un commandement de saisie-vente suivi d’un procès-verbal de carence[5];
Une procédure de saisie-immobilière pratiquée contre les biens de la société, avant l’ouverture de la procédure collective qui n’est pas terminée, de sorte qu’il n’est possible de savoir si la vente de ces biens aurait permis de désintéresser totalement le créancier[6];
L’existence d’un moratoire sur la dette imposé au créancier dans le cadre d’un plan de redressement par voie de continuation[7].
La vanité des poursuites constatée par un revirement de la Jurisprudence de la Cour de Cassation de 2009[8] est cependant de droit pour une société en liquidation judiciaire, dès lors que le créancier prouve avoir déclaré sa créance au passif de la procédure collective dans les conditions de la loi.
Pour autant, cette Jurisprudence pourrait être utilement combattue, s’il était démontré, par l’associé, l’existence d’actifs dans la liquidation judiciaire, susceptibles d’être vendus pour un montant de nature à désintéresser les créanciers.
Conscient que la preuve de la validité des poursuites est un obstacle souvent difficilement franchissable, les créanciers, Administration Fiscale en tête, patientent le temps des opérations de liquidation judiciaire de la société et décident de ne reprendre leur action qu’au terme de la clôture desdites opérations … en oubliant, peut-être, d’interrompre la prescription.
II –
L’affaire commentée ne se rapporte pas à une procédure collective d’une SCI qui y avait échappé, en obtenant du Juge de l’Exécution saisi d’une procédure de vente aux enchères publiques d’un actif immobilier lui appartenant, la réalisation à l’amiable de son immeuble. Le prix de vente payé, ledit Juge de l’Exécution avait homologué le projet de distribution qui avait, pour partie seulement, profité au créancier établissement bancaire.
Plus de cinq ans après de l’homologation du projet de distribution, l’établissement bancaire se réveille, met en place une procédure de saisie-vente sur les actifs identifiés de la SCI, et sur la base du procès-verbal de carence assigne les associés de la SCI, réclamant le paiement de sa dette à proportion de la participation du capital de chacun. Avec succès devant les Juridictions du fonds, au point que l’associé condamné se pourvoit devant la Cour de Cassation et fait valoir que l’action en paiement à l’encontre d’une société civile se prescrit comme l’action en paiement exercée à l’encontre de la société elle-même, ce que juge la Cour de Cassation en censurant la Cour d’Appel par un raisonnement qui figure en toutes lignes dans les titrages et résumés de la décision ainsi repris :
« La poursuite préalable et vaine de la société ne constitue pas le point de départ de la prescription de l’action du créancier contre l’associé, qui est le même que celui de la prescription de l’action contre la société. L’effet interruptif de prescription résultant de la saisine du juge de l’exécution consécutive au commandement valant saisie immobilière délivrée à une société civile ayant pris fin à la date de l’Ordonnance d’homologation du projet de distribution du prix de vente, la dette de cette société était prescrite à l’expiration d’un délai de cinq ans ayant couru à compte de cette date, de sorte que l’action en paiement de la même dette engagée postérieurement au compte de l’associé était irrecevable ».
L’Arrêt bien que publié n’apporte pas un point de droit nouveau, puisque celui-ci avait déjà été consacré par un Arrêt de la 2ème Chambre Civile en 2018[9].
Explication :
La dette de la société civile et, par ricochet, celle des associés solidairement tenus, obéit au régime de la prescription quinquennale. Cette prescription peut être interrompue sans que cette liste soit limitative par divers actes de procédure, si le créancier est titré (acte authentique) par toute procédure d’exécution en ce compris (i) un commandement de payer, (ii) une assignation en justice et ce aux visas des articles L.2224-11 et 2224-2 du Code Civil.
S’agissant plus particulièrement de la saisie-immobilière qui avait fait l’objet des poursuites du créancier, la prescription est interrompue à compter de l’engagement de la procédure et reprend son cours après l’Ordonnance homologuant le projet de distribution.
Se déduit de ces principes, les conséquences suivantes :
(i) la banque n’était plus recevable à agir contre la société civile, puisque sa créance était prescrite ;
(ii) de la même manière, elle ne pouvait plus non plus agir contre les associés.
Cette décision s’applique à toutes les situations, en ce compris celles des sociétés en procédure collective. En effet, s’il ne fait, aujourd’hui, aucun doute que la déclaration de créance intervenue dans les délais de la loi (c’est encore mieux, si elle a été admise au passif de la procédure collective) est une demande en justice interruptive de prescription, les associés devront surveiller la date de clôture des opérations de liquidation judiciaire de la société, au terme de laquelle les délais de procédure recommenceront à courir. Le créancier peut, évidemment, prendre un raccourci en se faisant désigner contrôleur ou en obtenant la collaboration du Mandataire de justice, pour obtenir un état du passif déclaré, ainsi qu’un inventaire des actifs à vendre, ce qui lui permettra (i) d’identifier le rang de sa créance dans l’ordre des paiements du passif et (ii) rechercher si la cession des actifs permettra de le désintéresser totalement ou partiellement. Ces éléments réunis établiront la validité des poursuites si d’aventure il est démontré que la cession des actifs, bien qu’encore non opérée, ne permettra pas de désintéresser le créancier.
[1] Etant précisé que ces membres répondent indéfiniment et même solidairement des dettes sociales
[2] Avec une même solidarité
[3] Expressément visé pour les sociétés civiles, mais chaque société dont la forme juridique est particulière, qu’il appartiendra aux lecteurs de Chronos d’identifier
[4] Cass. Com. décision du 28 janvier 2005 n° 03-11.915
[5] Cass. Civ. 16 janvier 1999 n° 97-10.645
[6] Cass. Com. 11 juin 2003 n° 99-17.271
[7] Cass. Com. 23 janvier 2001 n° 98-10668
[8] Cass. Com. 16 juin 2009 n° 07-14.913
[9] Cass. 2ème Civ. 06 septembre 2018, n° 17-21.337