Convention réglementée : L’intérêt indirect peut être constitué par un simple lien familial entre un dirigeant et un membre de sa famille.

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

La Cour de Cassation intervient pour étendre l’intérêt indirect du dirigeant d’une Société Anonyme, lequel peut être constitué en cas de lien familial indirect avec le cocontractant, en l’espèce, entre d’un côté un directeur général et de l’autre, son frère et sa belle-sœur.

Cour de cassation, civile, Chambre civile 3,du 30 novembre 2022, 21-20.910, Inédit

I –

Dans un nouvel arrêt, quoiqu’inédit, la troisième Chambre Civile de la Cour de cassation revient sur le régime juridique des conventions réglementées dans le contexte très spécifique de la mise à bail, pour une durée de deux ans, de locaux à usage de bureaux.

En l’espèce, les Bailleurs, deux époux en indivision signent donc la convention d’occupation précaire avec une société anonyme (SA), laquelle est représentée alors par son Directeur Général (frère du mari bailleur). 

Les prémices du contentieux s’illustrent quelques années plus tard, lorsque le Directeur Général est révoqué de son mandat social, et licencié dans la foulée.

L’épouse assigne la nouvelle société (venant aux droits de la SA), en résiliation de ce bail, avec paiement de l’arriéré de loyers, et fixation d’une indemnité d’occupation.  Reconventionnellement, la défenderesse sollicite la nullité du bail sur le fondement des articles L225-38 et L225-42 du Code de commerce lesquels portent sur les conventions réglementées. En effet, la convention signée entre les parties n’ayant pas été préalablement approuvée par le Conseil d’Administration de la SA, elle encourait à ses yeux la nullité. C’est sur ce débat que ce concentre l’intérêt de l’arrêt.

II –

Les conventions réglementées sont les contrats passés entre la société et, directement ou indirectement, par l’un de ses dirigeants.  

Plus précisément, pour les Sociétés Anonymes, l’article L225-38  du Code de commerce prévoit :

« Toute convention intervenant directement ou par personne interposée entre la société et son directeur général, l’un de ses directeurs généraux délégués, l’un de ses administrateurs, l’un de ses actionnaires disposant d’une fraction des droits de vote supérieure à 10 % ou, s’il s’agit d’une société actionnaire, la société la contrôlant au sens de l’article L. 233-3, doit être soumise à l’autorisation préalable du conseil d’administration.

Il en est de même des conventions auxquelles une des personnes visées à l’alinéa précédent est indirectement intéressée.

Sont également soumises à autorisation préalable les conventions intervenant entre la société et une entreprise, si le directeur général, l’un des directeurs généraux délégués ou l’un des administrateurs de la société est propriétaire, associé indéfiniment responsable, gérant, administrateur, membre du conseil de surveillance ou, de façon générale, dirigeant de cette entreprise.

L’autorisation préalable du conseil d’administration est motivée en justifiant de l’intérêt de la convention pour la société, notamment en précisant les conditions financières qui y sont attachées ».

De surcroit, l’article L225-42 prévoit à son tour :

« Sans préjudice de la responsabilité de l’intéressé, les conventions visées à l’article L. 225-38 et conclues sans autorisation préalable du conseil d’administration peuvent être annulées si elles ont eu des conséquences dommageables pour la société.

L’action en nullité se prescrit par trois ans, à compter de la date de la convention. Toutefois, si la convention a été dissimulée, le point de départ du délai de la prescription est reporté au jour où elle a été révélée.

La nullité peut être couverte par un vote de l’assemblée générale intervenant sur rapport spécial des commissaires aux comptes ou, s’il n’en a pas été désigné, du président du conseil d’administration exposant les circonstances en raison desquelles la procédure d’autorisation n’a pas été suivie. Les dispositions du quatrième alinéa de l’article L. 225-40 sont applicables ».

Ainsi donc, une (i) convention réglementée conclue (ii) sans autorisation préalable peut être annulée si elle présente (iii) des conséquences dommageables pour la société.

Trois conditions devaient être réunies pour faire annuler ce bail. C’est précisément dans ce sens que la stratégie de la nouvelle SA était orientée, et donc soumise à l’appréciation de la Haute Cour.

III –

Si cette argumentation a été suivie par la Cour d’Appel dans un premier temps, l’épouse s’est pourvue en cassation critiquant notamment l’affirmation selon laquelle le Directeur Général était indirectement intéressé par la conclusion d’une convention avec sa belle-sœur, auquel le bien appartient en indivision avec son frère, compte tenu du simple lien familial, sans même que les juges du fond ne caractérisent un avantage/profit personnel retiré pour lui.

Toutefois, la Haute Cour confirme l’arrêt d’appel, rappelant alors que : « l’article L. 225-38 du code de commerce, qui soumet à l’autorisation préalable du conseil d’administration certaines conventions conclues par les dirigeants, administrateurs ou actionnaires significatifs, avaient pour but d’éviter les conflits d’intérêts entre la société et ceux-ci ».

Pour motiver sa décision, la Cour relève que :

  • Le bail litigieux a été conclu entre la société, représentée par son (ex) Directeur Général, et sa belle-sœur qui avait contracté sous son seul nom de jeune fille,
  • Le bail litigieux portait sur des locaux dont elle était, avec son époux, propriétaire en indivision sans que celui-ci n’ait signé le bail pour autant,
  • Les locaux étaient situés dans l’immeuble même du domicile des époux, et mitoyens du siège social d’une entreprise dans laquelle l’époux exerçait une activité propre en partageant une partie des locaux donnés à bail à la société… Ainsi, la surface donnée à bail ne correspondait pas à un usage exclusif au bénéfice de la société preneuse.

Déduisant de ces constatations que :

  • le Directeur Général avait privilégié les intérêts de sa famille, caractérisant un intérêt personnel que celui-ci avait indirectement tiré de la convention, laquelle devait ainsi relever, du régime des conventions réglementées.
  • pour autant, ladite convention « réglementée » n’avait pas été approuvée par le Conseil d’Administration.
  • Enfin, la Cour d’Appel avait constaté que le loyer était anormalement élevé au regard de la valeur locative,

En conséquence, la Cour d’Appel a exactement déduit que :

«  la convention litigieuse, qui avait eu pour effet de faire supporter à la société preneuse un loyer surélevé tant au regard du marché qu’en raison de la surface dont celle-ci avait la jouissance exclusive, au seul profit de la belle-sœur et du frère du directeur général, avait eu des conséquences préjudiciables pour la société (…) et en prononcer, en conséquence, la nullité ».

Il faut donc en comprendre que pour caractériser une convention réglementée, le lien indirect familial peut être pris en compte pour constituer un intérêt personnel indirect du dirigeant.

Une convention dite « normale » sera alors caractérisée de convention réglementée en cas de liens familiaux, et pourra être annulée en cas de conséquences dommageables pour la société.

Attention, s’agissant d’un arrêt inédit, non promis à une large publication, toute proportion doit être gardée quant à son caractère impératif.

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