Convention réglementée irrégulière : L’expertise de gestion est-elle de droit pour les autres associés ?

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

Le juge qui constate l’irrégularité d’une opération réalisée entre deux sociétés dirigées par une même personne physique, peut-il dans la foulée débouter l’associé de sa demande d’expertise de gestion au motif que cette opération n’est pas préjudiciable ?

Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 5 avril 2023, 21-23.289, Inédit

I –

Dans un arrêt quoiqu’inédit, la Chambre commerciale de la Cour de Cassation revient sur l’expertise de gestion, mécanisme propre aux sociétés commerciales (SARL, SA, SAS), qui permet aux associés / actionnaires de demander au juge, la désignation d’un Expert, pour bénéficier d’informations sur certaines opérations de gestion.

A l’origine désignée comme « l’expertise de minorité », elle constitue une prérogative importante confiée aux minoritaires pour leur constituer un véritable droit à l’information. Mais là n’est pas sa seule vocation, elle a aussi pour objectif la protection de l’intérêt général.

Ce mécanisme est prévu à l’article L223-37 du Code de commerce, lequel précise :

« Un ou plusieurs associés représentant au moins le dixième du capital social peuvent, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, demander en justice la désignation d’un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.

Le ministère public et le comité d’entreprise sont habilités à agir aux mêmes fins.

S’il est fait droit à la demande, la décision de justice détermine l’étendue de la mission et des pouvoirs des experts. Elle peut mettre les honoraires à la charge de la société.

Le rapport est adressé au demandeur, au ministère public, au comité d’entreprise, au commissaire aux comptes ainsi qu’au gérant. Ce rapport doit, en outre, être annexé à celui établi par le commissaire aux comptes en vue de la prochaine assemblée générale et recevoir la même publicité ».

II  –

A l’origine de ce contentieux, deux individus sont associés au capital d’une société à hauteur de 51% et 49%.

L’associée majoritaire, gérante de surcroit, a donné en location gérance le fonds de commerce à une seconde société… dans laquelle elle était également associée avec son mari, et gérante.

Par assignation en référé, son coassocié minoritaire réclame une expertise de gestion devant le Président du tribunal de commerce, puisqu’il considère qu’une convention réglementée conclue sans avoir été soumise à l’assemblée générale est irrégulière. Les premiers juges le déboutent, il se pourvoit en cassation.

III  –

L’associé minoritaire reproche à ses juges de ne pas avoir ordonné l’expertise de gestion alors que la juridiction  alors qu’ils ont justement estimé que la conclusion du contrat de location-gérance était intervenue entre deux sociétés ayant le même dirigeant social, et qu’il ne pouvait pas être considéré comme une opération courante (laquelle permet de soustraire une convention du cadre de l’article L223-19 du code de commerce relatif aux conventions réglementées).

Après avoir en introduction, confirmé que la juridiction saisie d’une demande d’expertise de gestion est tenue de l’ordonner dès lors qu’elle relève des présomptions d’irrégularités affectant une ou plusieurs opérations de gestion déterminées, la Cour de cassation décide de censurer ses confrères du second degré.

Les juges du Quai de l’Horloge indiquent :

« 7. Pour rejeter la demande d’expertise de M. [V] [E], l’arrêt, après avoir retenu que la mise en location-gérance du fonds de commerce de la société Aux délices de Tarentaise ne constitue pas une opération courante, de sorte qu’elle entre dans le champ d’application de l’article L. 223-19 du code de commerce et qu’elle aurait dû être soumise à l’assemblée générale des associés, énonce qu’en vertu de cet article, les conventions qui n’ont pas été approuvées par les associés produisent leurs effets, à charge pour le gérant ou l’associé contractant d’en supporter individuellement ou solidairement, selon les cas, les conséquences, si elles s’avèrent préjudiciables à la société. Analysant les stipulations du contrat de location-gérance, il retient que rien n’indique que celui-ci soit préjudiciable à la société Aux délices de Tarentaise et qu’elle entraîne son appauvrissement, la société restant propriétaire du fonds de commerce, dont elle peut reprendre l’exploitation directe chaque année, et ne conservant à sa charge que ses propres impôts et taxes, de sorte que ses résultats seront nécessairement bénéficiaires.

8. En statuant ainsi, alors qu’elle avait relevé que l’opération de mise en location-gérance était irrégulière, la cour d’appel, qui n’avait pas à se faire juge de cette opération, alors qu’était demandé la désignation d’un expert chargé de présenter un rapport relatif à celle-ci, a violé le texte susvisé ».

La Cour de cassation recadre ses confrères en leur rappelant qu’ils n’avaient pas a juger de la validité de l’opération en elle-même, mais bien de statuer l’éventuelle désignation d’un expert chargé d’une expertise de gestion. Ainsi, dès lors qu’ils ont simplement constaté l’irrégularité de la convention, ils auraient du nécessairement ordonner l’expertise.

L’expertise de gestion s’illustre ici comme de droit.

Dès lors qu’une opération est irrégulière, et que cette irrégularité même est constatée par les juges du fond, ceux-ci sont tenus d’ordonner l’expertise de gestion sollicitée, et ce, même s’ils constatent dans la foulée, que cette opération n’est pas préjudiciable à la société.

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