Confirmation par la Cour de Cassation : le rejet d’une créance pour irrégularité de forme entraîne son extinction.

Etienne CHARBONNEL
Etienne CHARBONNEL - Avocat associé

Source : Cass. Com 22 janvier 2020 – Pourvoi n° 18-19.526 FS – P + B

 

Par une décision qui devrait être, une nouvelle fois, largement commentée, la Cour de Cassation vient de confirmer une position vivement critiquée par la Doctrine, en jugeant que « la décision par laquelle le Juge-Commissaire retient qu’une créance a été irrégulièrement déclarée et ne peut être admise au passif est une décision de rejet de la créance, qui entraîne, par voie de conséquence, son extinction ».

 

Il s’agit donc là d’une confirmation de sa jurisprudence, suite à un premier arrêt du 4 mai 2017[1].

 

Les critiques portaient, et porteront de nouveau à la lecture du nouvel arrêt, sur l’absence de distinction, par la Cour de Cassation, entre la créance irrégulièrement déclarée, qui selon la Doctrine ne devrait donner lieu qu’à une inopposabilité, et l’extinction de la créance rejetée pour un motif de fond.

 

Pourtant, la Cour de Cassation, s’appuyant sur la rédaction de l’article L 624-2 du Code de Commerce, qui ne fait pas de distinction entre les différents motifs de rejet d’une créance déclarée, juge de nouveau qu’une créance qui a été seulement irrégulièrement déclarée doit subir le même sort qu’une créance régulièrement déclarée mais rejetée pour un motif de fond : l’extinction de cette créance.

 

La Doctrine soutenait en effet qu’une irrégularité de la déclaration de créance n’était pas un motif de rejet, mais seulement un motif d’irrecevabilité de cette déclaration.

 

En effet, lorsque le Juge-Commissaire, se penchant sur la déclaration, constate l’irrecevabilité, il n’a alors pas à examiner la créance sur le fond (il s’agit d’une fin de non-recevoir, selon les dispositions de l’article 122 du CPC).

 

C’est-à-dire que, toujours selon la Doctrine, une irrecevabilité de la déclaration de créance, pour de purs motifs de régularité formelle, devrait avoir les mêmes conséquences qu’une absence de déclaration, c’est-à-dire une inopposabilité de cette créance à la procédure collective.

 

A l’inverse, l’irrégularité formelle ne devrait pas conduire à l’extinction de la créance.

 

Telle n’est pourtant pas la position de la Cour de Cassation, qui considère donc que cette irrégularité formelle doit conduire à l’extinction de la créance.

 

Les conséquences pratiques sont pourtant lourdes, et particulièrement mises en valeur par les faits de l’espèce.

 

En effet, dans le cas traité ici par la Cour de Cassation, une banque poursuivait une caution, suite au placement en procédure collective du débiteur principal.

 

La banque avait déclaré sa créance, laquelle est finalement rejetée pour irrégularité de forme.

 

Pour autant, la décision définitive de rejet intervient postérieurement à la décision définitive de condamnation de la caution, de sorte que la banque avait entretemps initié les opérations de liquidation partage de l’indivision dont faisait partie la caution.

 

Cette indivision se prévaut donc, en cours de procédure, de l’extinction de la dette, ce que valide la Cour de Cassation dans son arrêt du 22 janvier 2020.

 

La solution est pourtant particulièrement surprenante, puisqu’elle vient sanctionner extrêmement durement une simple irrégularité de forme commise par la banque.

 

La singularité de la décision est mise en valeur si l’on compare ce qu’aurait été le sort de la banque en cas de défaut de déclaration de créance.

 

Dans cette hypothèse, la créance aurait été simplement inopposable à la procédure collective et la caution n’aurait pu se prévaloir que d’une éventuelle décharge partielle de son engagement, par voie d’accessoire, que si le défaut de déclaration l’avait privée, par subrogation, de dividendes à percevoir dans le cadre des opérations de liquidation judiciaire.

 

Pour autant, si la liquidation avait été impécunieuse et qu’en conséquence, ni la banque ou ni la caution subrogée n’auraient pu percevoir le moindre fonds, la perte de chance aurait alors été nulle, et la caution tenue de l’intégralité de la dette à l’égard de la banque.

 

C’est-à-dire, dit autrement, qu’il convient désormais de conseiller à la banque, en cas de liquidation impécunieuse, de ne pas déclarer sa créance au passif de la procédure collective, au risque de commettre une irrégularité de forme qui aurait pour conséquence l’extinction de sa créance, et d’être ainsi moins bien traitée qu’en cas de défaut de déclaration de créance.

 

La solution laisse perplexe, et n’est satisfaisante ni en droit, ni en pratique.

 

Il est d’ailleurs tout à fait possible que la Cour d’Appel de Renvoi résiste à cette solution de la Cour de Cassation, afin de porter le débat devant l’Assemblée Plénière.

 

Affaire à suivre, donc.

 

[1] Cass. Com. 4 mai 2017 – Pourvoi n° 15 -24.854 FS – P + B + I

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