SOURCE : Cass. civ 3ème, 17 novembre 2021 n°20-16802, Inédit
I – Travaux réalisés par le preneur en cours de bail et déplafonnement du loyer de renouvellement
Si le principe est celui du plafonnement du montant du loyer de renouvellement du bail commercial, il existe des cas de déplafonnement, strictement encadrés par la loi et la jurisprudence. C’est ce que précise, en substance, l’article L145-34 du Code de commerce :
« A moins d’une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d’effet du bail à renouveler, si sa durée n’est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l’indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires (…).
En cas de renouvellement postérieur à la date initialement prévue d’expiration du bail, cette variation est calculée à partir du dernier indice publié, pour une période d’une durée égale à celle qui s’est écoulée entre la date initiale du bail et la date de son renouvellement effectif.
Les dispositions de l’alinéa ci-dessus ne sont plus applicables lorsque, par l’effet d’une tacite prolongation, la durée du bail excède douze ans.
En cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L. 145-33 ou s’il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d’une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente ».
Parmi les éléments mentionnés à l’article L145-33 du Code de commerce, pris en compte par le juge pour déterminer la valeur locative des lieux loués, figurent notamment :
« 1) Les caractéristiques du local considéré ;
(…)
3) Les obligations respectives des parties ;
(…) ».
Il s’infère, à la lecture de cet article que les travaux réalisés par le locataire en cours de bail peuvent influer sur les caractéristiques du local considéré et ainsi constituer un motif de déplafonnement, lesquelles s’apprécient notamment par rapport à « la nature et à l’état des équipements et moyens d’exploitation mis à la disposition du locataire »[1].
Ces dispositions précitées doivent faire l’objet d’une lecture combinée avec celles de l’article R145-8 du même Code, lesquelles disposent que :
« Du point de vue des obligations respectives des parties, les restrictions à la jouissance des lieux et les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative. Il en est de même des obligations imposées au locataire au-delà de celles qui découlent de la loi ou des usages. Les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail à renouveler ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, notamment par l’acceptation d’un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge ».
Conformément à ces dispositions, les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail à bail ne sont prises en considération, en tant que motif de déplafonnement justifiant la fixation du loyer à la valeur locative, que si directement ou indirectement, le bailleur en a assumé la charge.
A l’inverse, la jurisprudence considère qu’en l’absence de clause spécifique, l’accession aux travaux d’amélioration, c’est-à-dire l’intégration des travaux réalisés par le preneur dans le patrimoine du bailleur, intervient à la fin du bail au cours duquel ils ont été effectués et qu’en conséquence les travaux peuvent entrainer le déplafonnement du loyer à l’occasion du second renouvellement suivant leur réalisation[2].
Lorsque le bail prévoit un clause d’accession, dont l’objet est de déroger aux règles légales d’indemnisation en prévoyant le principe d’une accession gratuite du bailleur aux travaux réalisés par le preneur, la question est de savoir à quelle date cette accession intervient ? A la fin du bail ? En fin de jouissance ? Les lecteurs de CHRONOS comprendront aisément qu’une telle détermination entraine des implications bien distinctes.
II – Accession du bailleur aux travaux en fin de bail
A l’instar de l’arrêt commenté, les rédacteurs d’un bail commercial peuvent insérer diverses formules telles que : « tous changements, embellissements ou améliorations, et en règle générale, tous travaux exécutés par le preneur dans les lieux loués, demeureront en fin de bail la propriété du bailleur, sans indemnité ».
Ces clauses, qui permettent au bailleur de devenir propriétaire des ouvrages et travaux en fin de bail au cours duquel ils ont été réalisés, peuvent justifier un motif de déplafonnement , soit au titre d’une modification des caractéristiques des locaux lors du premier renouvellement, soit au titre des améliorations lors du second renouvellement.
Ainsi, en présence d’un clause stipulant que les améliorations faites par le preneur resteraient « la propriété du bailleur à l’expiration du présent bail », la Haute juridiction a jugé que les améliorations faites par le locataire au cours du premier bail étaient acquises dès son expiration, le bail renouvelé étant un nouveau bail. La Cour a, en conséquence, censuré l’arrêt d’appel qui avait rejeté la demande de déplafonnement du bailleur, lors du second renouvellement, sur le terrain de l’article R145-8 du Code de commerce[3].
III – Accession du bailleur aux travaux en fin de jouissance
A l’inverse, le bail peut stipuler que l’accession interviendra « en fin de jouissance ». Dans ces conditions, le bailleur ne pourra accéder aux travaux et améliorations qu’au départ des lieux du locataire.
Le report de l’accession en fin de jouissance n’est pas neutre pour le bailleur dans la mesure où le mécanisme du déplafonnement à raison des travaux du locataire suppose, pour son application, que le bailleur deviennent propriétaire par accession des améliorations. Ainsi, si le locataire conserve la propriété de ses aménagements, le processus est bloqué !
IV – Articulation entre clause d’accession et clause de nivellement
Source de difficultés d’interprétation, certains baux peut prévoir, en plus de l’accession du bailleur aux travaux réalisés par le preneur, la possibilité pour le propriétaire des locaux de demander au locataire le rétablissement des lieux loués dans leur état primitif, aux frais exclusifs du preneur.
La jurisprudence considère qu’il existe une contradiction entre prévoir (i) une accession en fin de bail et (ii) la possibilité pour le bailleur d’exiger au départ du locataire la remise des locaux en leur état initial.
En présence d’une telle clause, la Cour de cassation considère que l’accession ne peut avoir lieu en fin de bail, mais qu’elle est reportée en fin de jouissance, c’est-à-dire au départ du locataire.
La Haute juridiction a jugé que c’était à bon droit qu’une Cour d’appel avait décidé qu’un bailleur ne pouvait se prévaloir des améliorations apportées par le locataire aux locaux loués pour obtenir le déplafonnement du loyer du bail renouvelé après avoir relevé que le bail liant les parties stipulait que « tous les travaux qui auront été faits par le locataire (…) resteront en bon état au bailleur, sans indemnité, à moins qu’il ne préfère le rétablissement des lieux en leur état primitif ». Il en résultait, par une interprétation souveraine de la commune intention des parties, que le renouvellement du bail étant incompatible avec la remise des locaux en leur état primitif, la clause d’accession ne pourrait jouer qu’à la fin de relations contractuelles[4].
L’arrêt commenté s’inscrit dans le droit fil de cette jurisprudence par la motivation suivante : le renouvellement du bail étant incompatible avec la remise des lieux dans leur état primitif, la clause d’accession ne pouvait jouer qu’à la fin des relations contractuelles.
Cette interprétation prétorienne a des conséquences sur la valorisation des lieux loués, au même titre que la détermination du montant du loyer renouvelé :
Le bailleur se trouve dans l’impossibilité d’invoquer les travaux réalisés par le locataire comme motif de déplafonnement pour fixer le loyer du bail de renouvellement à la valeur locative. Il en sera privé jusqu’à la fin des relations contractuelles, c’est-à-dire jusqu’au départ du locataire ;
Du côté du locataire, (i) celui-ci se trouve assuré que les travaux réalisés ne pourront jamais constituer un motif de déplafonnement, et (ii) si le loyer est déplafonné pour un autre motif (par exemple une modification des facteurs locaux de commercialité), il faudra pratiquer un abattement sur la valeur locative pour tenir compte de l’état des locaux avant la réalisation des aménagements du preneur, puisque ceux-ci n’appartenaient pas au bailleur.
[1] Article R145-3 du Code de commerce, 5°
[2] Cass, civ 3ème, 14 mars 2019, n°18-13221, Inédit
[3] Cass. civ 3ème, 26 novembre 1985, n°84-16760, FS – PB ; Cass. civ 3ème, 15 mai 1991, n°484, FS – PB
[4] Cass, civ 3ème, 7 février 2007, n°05-21428, Inédit et Cass. civ 3ème, 17 septembre 2020, n°19-21713, Inédit