Aux termes de deux arrêts rendus coup sur coup par la Haute juridiction le 25 mai 2023, et voués à une large publication, la troisième chambre civile apporte des précisions salutaires sur le régime des actions tendant d’une part à la constatation de la mutation d’un bail dérogatoire en bail commercial soumis au statut, et d’autre part aux actions tendant à la requalification d’une convention en bail commercial soumis au statut.
SOURCE : Cass. civ 3ème, 25 mai 2023, n°22-15946, FS – B et Cass. civ 3ème, 25 mai 2023, n°21-23007, FS – B
Moyens de défense prisés des avocats spécialistes en droit des baux commerciaux, les délais de prescription et le point de départ des actions exercées (en vertu ou non du statut des baux commerciaux) constituent une arme de choix parmi l’arsenal juridique à leur disposition.
D’ailleurs les décisions jurisprudentielles rendues en la matière, et les débats doctrinaux qui s’en suivent, sont à ce point légion que même les initiés ont un peu tendance à s’y perdre.
Envisagés sous cet angle, les deux arrêts de principe rendus coup sur coup le 25 mai 2023 apportent un éclaircissement salutaire.
Par commodité rédactionnelle, le présent article envisagera successivement chacun des deux arrêts.
I – L’arrêt du 25 mai 2023 (n°21-23007) : Sur l’action en constatation de la mutation d’un bail dérogatoire en bail commercial soumis au statut
A la base de ce contentieux, le maintien dans les lieux d’un locataire à échéance d’un bail dérogatoire ayant pour terme le 30 septembre 2006, lequel faisait suite à un précédent bail de même nature.
Postérieurement à l’échéance du dernier bail dérogatoire, le locataire a assigné le bailleur en constatation de l’existence d’un bail commercial statutaire né du fait du maintien dans les lieux à l’issue du dernier des baux.
Dans son arrêt du 25 mai 2023, la Cour de cassation se saisissant d’office d’un moyen au visa de l’article L145-5 du Code de commerce, applicable aux baux dérogatoires, a jugé dans ses titrages et résumés que :
« La demande tendant à faire constater l’existence d’un bail soumis au statut né du maintien en possession du preneur à l’issue d’un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l’article L145-5 du Code de commerce, n’est pas soumise à prescription ».
La troisième chambre civile dans un arrêt publié du 1er octobre 2014, avait déjà écarté la prescription biennale dans l’hypothèse d’une demande tendant à faire constater l’existence d’un bail statutaire né du fait du maintien en possession du preneur à l’issue d’un bail dérogatoire, au visa de l’article L145-5 du Code de commerce[1].
Cette décision laissait cependant le doute quant au délai attaché à l’action : imprescriptibilité ou prescription quinquennale.
La récente décision du 25 mai 2023 est salutaire sur ce point.
II – L’arrêt du 25 mai 2023 (n°22-15946) : Sur l’action en requalification d’une convention en bail commercial soumis au statut
A la base de ce contentieux, la conclusion de multiples conventions qualifiées de « convention d’occupation précaire » entre une société commerciale et une commune, du 9 mai 2009 au 31 octobre 2015.
Au cours de l’exploitation, la commune a notifié à la société commerciale un projet de « bail de location saisonnière » pour l’année 2016, stipulant une durée de sept mois à l’issue de laquelle la société devait quitter les lieux.
La société étant restée en place, sans interruption, depuis le 15 novembre 2009 date d’effet de la première des conventions, a assigné la commune en constatation à son profit de l’existence d’un bail commercial soumis au statut protecteur des baux commerciaux.
La commune a sollicité reconventionnellement l’expulsion de la société et le paiement d’une indemnité d’occupation.
La société qui se voit déboutée devant la Cour d’appel introduit un pourvoi en cassation, aux motifs que le départ de la prescription biennale applicable à la demande en requalification d’une convention en bail commercial court à compter de la conclusion du dernier contrat, conclu entre les parties, dont la conclusion est demandée. Qu’en considérant que le délai de prescription de l’action en requalification formée par la société avait commencé à courir à la date à laquelle les parties avaient conclu leur premier contrat de bail, soit le 9 novembre 2009, et non à la date à laquelle avait été conclue la dernière convention en vertu de laquelle le local était mis à sa disposition, la Cour a violé l’article L145-60 du Code de commerce.
Dans son arrêt du 25 mai 2023, la Cour de cassation juge dans ses titrages et résumés littéralement repris :
« Le délai de prescription biennale applicable à l’action en requalification d’un contrat en bail commercial court, même en présence d’une succession de contrats distincts dérogatoires aux dispositions du statut des baux commerciaux, à compter de la conclusion du contrat dont la requalification est recherchée »
Et de conclure qu’en retenant que la société avait demandé la requalification du dernier contrat conclu entre les parties, le point de départ de la prescription de son action devait commercer à courir à compter du 1er septembre 2014, et non du 9 novembre 2009 date de conclusion du premier contrat entre les parties.
Cette décision tranche clairement avec la position prétorienne jusqu’alors constante, selon laquelle le point de départ de la prescription biennale applicable à la demande de requalification d’une convention en bail commercial court à compter de la date de conclusion du contrat (initial), peu important que celui-ci ait été renouvelé par avenants successifs[2].
Cet arrêt constitue-t-il un revirement de jurisprudence ?
La réponse est loin d’être aisée compte-tenu de la demande de la société de requalification du dernier contrat conclu, même si elle ouvre la voie à un nouvel axe stratégique dans la défense des intérêts des locataires commerciaux.
Les lectures Chronos auront compris de ce qui précède qu’il y a lieu de distinguer l’action en constatation de la mutation d’un bail dérogatoire en bail commercial soumis au statut d’une part (par l’effet du maintien dans les lieux du locataire), et l’action en requalification d’un bail dérogatoire en bail commercial soumis au statut d’autre part (conditions d’application non remplies), qui obéissent à des régimes juridiques sont différents
La différence peut paraître poreuse ; les implications procédurales sont en revanche fondamentalement différentes, et le contentieux loin d’être tari.
[1] Cass. civ 3ème, 1er octobre 2014, n°13-16806, FS – P+B+I
[2] En ce sens, Cass. civ 14 septembre 2017, n°16-23590, FS – PB ou encore Cass. civ 3ème, 3 décembre 2015, n°14-19146, FS – PB