Sources : Cass. 3ème Civ., 24 novembre 2021 n° 20-20.973 FD, Articles L.622-14.2, L.631-14 alinéa 1 et L. 641-12.3 du Code de Commerce, Cass. Com., 09 octobre 2019 n° 18-17.563 FS PBI, Cass. Com., 15 novembre 2020 n° 17-28.127 FD
I – Le droit positif de la résiliation à l’aune de la jurisprudence commentée
Le plus simple, pour le lecteur de Chronos, est de prendre connaissance des titrages et résumés, de l’Arrêt de principe rendu par la Chambre Commerciale, étant précisé que l’Arrêt de la Troisième Chambre Civile n’est pas publié :
« En application des articles L. 641-12, 3°, et R. 641-21, alinéa 2, du Code de Commerce, lorsque le Juge-Commissaire est saisi, sur le fondement du premier de ces textes, d’une demande de constat de la résiliation de plein droit du bail d’un immeuble utilisé pour l’activité de l’entreprise, en raison d’un défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire du preneur, cette procédure, qui obéit à des conditions spécifiques, est distincte de celle qui tend, en application de l’article L. 145-41 du code de commerce, à faire constater l’acquisition de la clause résolutoire stipulée au contrat de bail. En conséquence, le bailleur, qui agit devant le Juge-commissaire pour lui demander la constatation de la résiliation de plein droit du bail, sans revendiquer le bénéfice d’une clause résolutoire, n’est pas dans l’obligation de délivrer le commandement exigé par l’article L. 145-41 du Code de Commerce »
En statuant ainsi, la Cour de Cassation, désormais dans ses chambres civile et commerciale, constate une autonomie du livre VI sur les procédures collectives qui autorise un créancier de loyers impayés, 0 faire constater la résiliation du bail, non pas en vertu des stipulations du bail (clause résolutoire obligatoirement insérée dans le bail), mais en vertu des disposition plus spécifiques des textes précités.
Dès lors que la Cour de Cassation constate l’autonomie du texte sur les procédures collectives par rapport à la convention des parties, la solution est logique. Il n’appartient pas au bailleur de faire précéder sa demande de résiliation d’un commandement de payer visant la clause résolutoire au visa de l’article L.145-41 du Code de Commerce se rapportant au statut des baux commerciaux et bien entendu à la convention des parties, puisque la constatation de la résiliation du bail, par la Juridiction des référés suppose qu’une stipulation autorisant cette pratique était insérée dans le bail.
Le bailleur doit-il, au regard de ce qui précède privilégier la piste de la constatation de la résiliation judiciaire via la procédure collective et le Juge Commissaire qui semble être plus rapide. La réponse n’est pas évidente.
II –
II – 1. La constatation de la résiliation du bail via la procédure collective
C’est précisément l’objet de ce commentaire. Le débiteur pourra saisir d’une simple requête adressée au Juge Commissaire sa demande constatation de la résiliation du bail, lequel, puisqu’il s’agit d’une mesure à l’insu, peut, au regard des éléments du dossier, et notamment la justification (i) d’un bail, (ii) d’un décompte de loyers, (iii) laissant apparaître des impayés, prononcer la résiliation du bail.
En apparence, la formalité est simple et le résultat facile à obtenir.
II – 2. La constatation de la résiliation du bail par le Juge Judiciaire
La procédure est posée à l’article L.145-41 du Code de Commerce qu’il suffit de rappeler. Le texte dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement de demeurer infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner le délai. Les Juges saisis d’une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l’article L.143-5 du Code Civil (demande de délai de paiement) peuvent, en accordant un délai, suspendre la réalisation des effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n’est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l’autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas si le locataire se libère dans les conditions fixées par le Juge.
Appliquée littéralement, la procédure suppose (i) la délivrance d’un commandement de payer visant la clause résolutoire, (ii) l’attente d’un délai d’un mois au cours de laquelle la dette de loyer risque d’augmenter et (iii) la mise en place d’une procédure judiciaire qui, pour autant qu’elle s’inscrive dans une procédure dite de référé, dont le déroulement est plus simple et plus rapide que la procédure au fond, conduit le bailleur à devoir franchir les étapes de la procédure que sont la prise de date (qui dépend de la charge de travail de la juridiction), de la procédure contradictoire avec le preneur qui peut, bien entendu, solliciter des délais de paiement, et du temps nécessaire au délibéré (qui là encore) dépend de la charge de la Juridiction des référés saisie).
Ainsi donc, en apparence du moins, avantage à la constatation de la résiliation judiciaire, mais la réalité opérationnelle est toute autre.
II – 3. Juge Commissaire vs Juge des Référés, lequel choisir ?
Choisir la constatation de la résiliation du bail en déposant une requête auprès du Juge Commissaire en charge de la procédure collective du preneur, revient, pour le bailleur, à abandonner son sort, entre les mains de la procédure collective.
En effet, avant de pouvoir déposer une requête, en constatation de la résiliation du bail, le bailleur devra attendre les délais posés à l’article L.622-14 du Code de Commerce, c’est-à-dire trois mois à compter dudit Jugement ». A l’inverse, s’il utilise la procédure de l’article L.145-41, il lui suffit de délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire et d’attendre un mois, là où devant le Juge Commissaire le délai est de trois mois, étant ajouté que dès lors que les loyers sont impayés, ils le sont dès l’ouverture de la liquidation judiciaire : avantage donc à la procédure de droit commun.
De surcroit, après avoir patienté pendant trois mois au cours desquels les loyers sont en général impayés, le bailleur devra déposer sa requête et attendre que le Juge Commissaire veuille bien s’en emparer et convoquer le Liquidateur, l’ancien représentant du débiteur et le bailleur à une audience. Et cela peut prendre un certain temps, parfois lié à la surcharge de l’activité du corps consulaire, ou soit, tout simplement, par bienveillance du Juge Commissaire envers la liquidation judiciaire qui, en remettant le traitement de requête au lendemain, aide le Liquidateur à conserver la jouissance des locaux sans bourse déliée.
A l’inverse, en utilisant la procédure prise de date, devant le Juge des Référés, le bailleur est maître du calendrier de convocation des parties : avantage pour la procédure de droit commun.
Une fois devant son Juge, le bailleur devra s’opposer à l’argument du Liquidateur qui, vraisemblablement, pour toute réponse sollicitera des délais de paiement, lesquels pourront être aussi difficilement obtenus devant le Jugement Commissaire que devant la Juridiction des Référés : sauf à exciper d’une possible cession du fonds de commerce, dont le prix serait, pour partie, affecté au règlement de la dette des loyers. Mais, en règle générale et compte tenu de l’ordre de paiement des privilèges, les loyers concernant la procédure collective sont, les trois quarts du temps, absorbés par les super privilèges fiscaux et sociaux, auxquels s’ajoute la rémunération du Mandataire Liquidateur. Quand un impayé est constaté, le bailleur doit privilégier les procédures rapides puisque, dans la majeure partie des cas, cet impayé sera irrecouvrable, sauf à engager la responsabilité du Mandataire Liquidateur : quoiqu’il en soit, égalité des deux procédures collectives en ce qui concerne le traitement des éventuels délais de paiement.
Au niveau des recours contre la décision rendue constatant la résiliation du bail, les régimes sont différents. D’un côté, celui du Juge Commissaire, le Mandataire Liquidateur ou le bailleur ou le représentant du débiteur qui dispose d’un droit autonome, pourra faire opposition à l’Ordonnance du Juge Commissaire devant le Tribunal de Commerce. Le Jugement à intervenir pourra, lui-même, être soumis à la censure de la Cour d’Appel.
Dans le cas de la procédure de droit commun, l’Ordonnance à intervenir est exécutoire de plein droit, sauf à obtenir la suspension de l’exécution provisoire par le Premier Président de la Cour d’Appel (depuis la réforme de 2019), qu’il n’aura, quasiment, aucune chance de l’obtenir s’il ne prouve pas pouvoir disposer, à cours termes, des fonds nécessaires à l’apurement de la totalité de la dette de loyers. A défaut de suspension de l’exécution provisoire, la procédure est radiée et l’appel s’éteint lui-même : avantage, là encore, à la procédure de droit commun.
Au regard de ce qui précède, saisir le Juge Commissaire a-t-il vraiment un intérêt ?
Nous sommes d’avis que la saisine du Juge Commissaire n’a aucun mérite quand le Mandataire Liquidateur n’est pas disposé, même en l’absence de fonds, à restituer le bien donné à bail immédiatement. La procédure la plus efficace est d’interroger préalablement le Mandataire sur ses intentions. S’il ne répond pas ou opte pour la poursuite du bail sans payer les loyers, il est préférable d’engager la procédure de droit commun.