Source : Cass. com., 1er mars 2016, n°14-16.402, FS-P+B
I. – Les faits de l’espèce
Une banque consent en 2006 un prêt à une société en vue de l’acquisition de parts sociales. Une personne physique se porte caution solidaire. Une procédure de sauvegarde est ouverte en mars 2009 à l’égard de la société débitrice et, en mai 2010, un plan de sauvegarde est arrêté.
L’établissement de crédit assigne alors la caution en exécution de son engagement. En février 2012, le plan de sauvegarde est résolu par un jugement qui prononce la liquidation judiciaire de la société débitrice. Pour condamner la caution à payer, l’arrêt d’appel retient que le jugement d’ouverture de la procédure de sauvegarde ne suspend les poursuites contre la caution que jusqu’au jugement arrêtant le plan de sauvegarde et que c’est donc à la date de l’assignation délivrée à la caution par le créancier, qu’il convient de se placer pour apprécier la « disproportion », la caution ne pouvant se prévaloir des dispositions du plan pour échapper à ses obligations.
II. – L’arrêt de cassation
La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa des articles L.626-11 du Code de commerce[1] et L.341-4 du Code de la consommation[2] :
« en se déterminant ainsi, sans constater qu’à la date retenue, le plan de sauvegarde du débiteur principal, dont la caution pouvait se prévaloir, n’était pas exécuté, la cour d’appel a privé sa décision de base légale. »
En d’autres termes, l’obligation de la caution n’étant exigible qu’en cas de défaillance du débiteur principal, les capacités de celle-ci à assumer son engagement doivent être appréciées au jour où le plan de sauvegarde n’est plus respecté, et non au jour où elle est assignée en paiement.
Les Hauts magistrats rappellent également dans cet arrêt qu’il résulte de la combinaison des articles 1315 du Code civil[3] et L.341-4 du Code de la consommation, qu’il incombe au créancier professionnel qui entend se prévaloir d’un contrat de cautionnement manifestement disproportionné lors de sa conclusion aux biens et revenus de la caution, personne physique, d’établir qu’au moment où il l’appelle le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation[4].
III. – Une solution à nuancer
Une nuance doit être apportée à cette solution, lorsque le créancier a pratiqué une mesure conservatoire contre une caution personne physique : il doit en effet, selon les règles des procédures civiles d’exécution, engager une action tendant à l’obtention d’un titre exécutoire, pour éviter la caducité de la mesure[5]. Dans cette hypothèse, le créancier peut agir contre la caution en cours d’exécution du plan de sauvegarde, et obtenir contre elle un titre exécutoire. Cependant, pour ménager le droit de la caution de se prévaloir des dispositions du plan, la Cour de cassation précise que l’exécution de ce titre est suspendue tant que le plan est respecté[6].
En somme, la décision commentée respecte la philosophie des textes. Effectivement, pour inciter les dirigeants à recourir à la procédure de sauvegarde, le législateur de 2005 a protégé les garants personnes physiques, qui sont souvent les dirigeants ou leurs proches. Plus précisément, par application des articles L.622-28 et L.626-1 du Code de commerce, les personnes physiques coobligées, ou ayant consenti une sûreté personnelle ou cédé ou affecté un bien en garantie ne peuvent être poursuivies en exécution de leurs engagements pendant la période d’observation et peuvent ensuite se prévaloir du plandesauvegarde. Ces solutions ne sont pas applicables au redressement judiciaire.
Thomas LAILLER
Vivaldi-Avocats
[1]« Le jugement qui arrête le plan en rend les dispositions opposables à tous. A l’exception des personnes morales, les coobligés et les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent s’en prévaloir. »
[2] « Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. »
[3]« Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. »
[4]Cass. com., 1er avr. 2014, n°13-11.313, FS-P+B et Cass. civ. 1ère, 10 sept. 2014, n°12-28.977, F-P+B
[5]Art. R.511-7 C. pr. exéc.: « Si ce n’est dans le cas où la mesure conservatoire a été pratiquée avec un titre exécutoire, le créancier, dans le mois qui suit l’exécution de la mesure, à peine de caducité, introduit une procédure ou accomplit les formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire. Toutefois, en cas de rejet d’une requête en injonction de payer présentée dans le délai imparti au précédent alinéa, le juge du fond peut encore être valablement saisi dans le mois qui suit l’ordonnance de rejet. »
[6] Cass. com., 2 juin 2015, n°14-10.673, FS-P+B