Sources : 11 mars 2022 CE n° 453016, CE plén. 21 décembre 2018 n° 402006
I –
Le contentieux soumis à l’analyse du Conseil d’Etat est une des variantes du contentieux qui oppose très largement les auteurs et bénéficiaires des management package, défini comme un accord personnalisé entre une société, un de ses dirigeants ou un cadre de direction, dont l’élément central est l’intéressement du bénéficiaire au capital de la société qu’il dirige et donc, par ricochet, l’intéressement à la croissance de la société.
On trouve dans ce type de package, évidemment, les bons de souscription d’actions (BSA) ou les bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSPCE) ou les actions gratuites.
Au cas examiné par la Haute Juridiction, il s’agissait d’une simple promesse de vente consentie par une holding au bénéfice du directeur commercial de l’une de ses filiales, à un prix, qu’on peut qualifier de symbolique, c’est-à-dire 1 € par action. Deux ans après, le directeur commercial lève l’option de la promesse pour 1 € et revend les titres fraichement acquis à, à peu près, quatre fois leur prix d’acquisition, c’est-à-dire 3,8138 €/action.
Abus de droit rétorque l’Administration Fiscale qui fait grief à la promesse d’avoir permis au directeur commercial de les avoir acquis à un quart de leur valeur de marché, sans que pour autant la promesse soit assortie de contrepartie de type durée minimale de présence dans l’entreprise ou durée minimale de conservation des titres acquis, alors qu’à l’inverse, il lui semblait (à l’Administration) que dès l’année de la promesse, la valeur des titres de la filiale allait fortement croître, indépendamment de l’action du directeur commercial au développement du chiffre d’affaires.
Pour écarter l’abus de droit, le Conseil d’Etat considère que « la seule circonstance que l’avantage soit consenti, non pas par la filiale, mais par la société, n’était pas de nature à faire obstacle à ce que cette société trouvât, eu égard aux conséquences qu’elle pouvait en attendre sur la valorisation de sa participation dans la filiale, un intérêt propre à inciter l’intéressé au développement de cette filiale dont il était, par ailleurs, le directeur commercial ».
De surcroit, le Conseil d’Etat relève que le directeur commercial, de par son expérience commerciale dans l’activité de la filiale était « de nature à lui permettre, par son implication particulière, d’obtenir un accroissement important du chiffre d’affaires de cette filiale et, par suite, de la valeur de ses titres ».
Puis, après avoir dégagé l’intérêt qu’avait la société à encourager le management d’une de ses filiales, le Conseil d’Etat retient qu’à la date à laquelle la promesse est signée, le prix de 1€ symbolique « pouvait être regardé comme proche de la valeur vénale des titres à la date à laquelle, elle a été consentie », tout en ajoutant (et contrairement à ce que soutenait l’Administration Fiscale) « les perspectives de croissance de l’activité de la société ne présentaient aucun caractère certain, de sorte que cette promesse était de nature à avoir, à l’égard (du directeur commercial) un réel effet incitatif ».
Cette décision s’inscrit dans un courant jurisprudentiel qui peut être qualifié de consolidant, illustrée principalement par un Arrêt de l’Assemblée plénière du 21 décembre 2018 (précité) par lequel le Conseil d’Etat, s’agissant de la cession de titres, rappelle que « l’Administration qui n’a pas à se prononcer sur l’opportunité des choix de gestion opérée par une entreprise, rapporte la preuve d’un acte anormal de gestion lorsque la cession a été réalisée à un prix significativement inférieur à la valeur vénale, à charge pour le contribuable (ici le cédant) d’apporter des éléments de nature à remettre en cause cette évaluation (ce qui arrive rarement) ou de justifier que « l’appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans l’intérêt de l’entreprise, soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu’elle en ait tiré une contrepartie ».
L’intérêt de cette décision est, à la différence des BSA ou BSPCE, de permettre la motivation des mandataires ou cadres dirigeants directement par la maison mère, sans, pour autant, souffrir du grief d’acte anormal de gestion.
A contrario, si la promesse de la maison mère présente les mêmes caractéristiques et intérêts que le BSA et le BSPCE que consent la fille, le risque, pour son bénéficiaire, c’est-à-dire le manager, reste entier, que l’avantage soit consenti par la mère ou par la fille.
II –
En effet, côté manager, le risque de requalification des plus-values de cession de titres en salaire, peut être notamment rappelé par les citations des trois décisions rendues par le Conseil d’Etat le 13 juillet 2021[1] qui (pour l’essentiel) assimile les bénéfices tirés des management package à des salaires, dont la fiscalité est beaucoup moins avantageuse que celle liée au prélèvement forfaitaire unique (ci-après : « PFU »).
Pour éviter tout risque de requalification, il est préférable d’externaliser la prestation de management package et de faire bénéficier la société créée pour l’occasion de l’avantage à consentir au manager.
Au cas commenté, la prestation de directeur commercial semble difficilement pouvoir être externalisée puisque, par nature, il s’agit d’un contrat de travail qui ne peut être exécuté que par une personne physique. La solution pourrait, en revanche, garder toute sa pertinence lorsque le management package récompense un mandat social, de président ou de directeur général qui, pour le coup, peut être exercé par une personne morale, de sorte qu’une promesse consentie par la mère à la personne morale qui occupe un mandat social dans les conditions visées par la Jurisprudence commentée, offrirait la sécurité juridique du côté du promettant, mais également éviterait tout risque de requalification du côté bénéficiaire.
[1] CE 13 juillet 2021 n° 428506 ; 435452 ; 437498