Sources : Cass. Crim., 17 novembre 2021 n° 20-82.844
Il faut nécessairement faire une distinction entre la position de la Chambre Criminelle qui confirme que l’abus de bien des crédits de la société n’est caractérisé que si la rémunération porte atteinte à l’intérêt social, à la différence de la Juridiction Civile qui peut ordonner le remboursement des rémunérations si celles-ci ne s’inscrivent pas dans un processus légal ou contractuellement convenu.
Pour comprendre la portée de la décision de la Chambre Criminelle, d’un point de vue pratique, il faut nécessairement distinguer les règles de rémunération sur le plan civil et pénal.
I – La rémunération du dirigeant sur un plan pénal
La rémunération du dirigeant est, en règle générale, soumise, à un formalisme particulier qui peut être imposé par la loi et même renforcé par les statuts ou des conventions extrastatutaires ou, tout simplement, par la Jurisprudence.
Selon la forme sociale de la société, et sans entrer dans un débat inutilement technique pour les besoins de la discussion qui va suivre, cette rémunération peut rentrer dans le cadre des conventions réglementées, c’est-à-dire des conventions qui nécessitent une approbation, à priori, un Conseil d’Administration (dans les SA) et une validation, à postériori, par l’Assemblée Générale (toujours dans les SA), à priori, pour les gérants non associés dans une société disposant d’un Commissaire aux comptes (SARL), ou à postériori, dans la plupart des SARL. Dans les SAS, la rémunération des dirigeants est fixée par les statuts, de même que dans les sociétés civiles et les sociétés en nom collectif. La rémunération des dirigeants des sociétés en commandite par actions et des sociétés en commandite simple se rattache au régime principal duquel les sociétés dépendent (SA ou société civile).
A cet égard, la Chambre Criminelle juge que le non-respect de la procédure de convention réglementée peut engager la responsabilité pénale du dirigeant sur les fondements de l’abus de biens et des crédits de la société (cf infra)[1]. L’erreur serait de considérer qu’un manquement d’un dirigeant à la procédure sur les conventions réglementées, l’inscrirait irrémédiablement dans un schéma de sanctions pénales.
En effet, l’infraction poursuivie relève de l’abus de biens et des crédits de la société, autrement appelés abus de biens sociaux, réprimés aux articles L.241-3 et L.242-6 du Code de Commerce :
Le premier texte dispose en son 4o qu’« est puni d’un emprisonnement de 5 ans et d’une amende de 375 000 € » le fait pour les gérants de faire de mauvaise foi des biens et des crédits de la société un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement ;
Le second sanctionne, de la même manière et sous les mêmes formes, les Mandataires des Sociétés Anonymes, là où le premier s’adressait aux gérants de société.
Et la Cour de Cassation, dans son Arrêt commenté, de nous rappeler, à juste titre selon nous, que sur le plan pénal et au regard des textes précités, la rémunération que s’octroie le dirigeant, respectant ou non les formes légales, réglementaires ou statutaires, doit s’apprécier au regard d’une éventuelle contrariété à l’intérêt social. Autrement dit, une rémunération, même décidée unilatéralement par le Mandataire social en violation de toutes ses obligations légales ou l engagements contractuels, peut ne pas constituer un délit d’abus de bien social, si cette rémunération ne s’inscrit pas en contrariété avec l’intérêt social.
L’appréciation de l’intérêt social et l’excès de rémunération s’inscrit sous diverses formes. Ainsi, durant la période active, les Juges pourront se pencher sur la rémunération à proprement parlé, les avantages en nature, tels qu’un logement de fonction ou un véhicule. Leur irrégularité doit s’apprécier « eu égard aux ressources et à la situation de la société[2]. Lors de la mise à la retraite, il faudra examiner le droit des pensions de retraite assimilé au régime général et même, rechercher les rémunérations concédées hors du champ légal, comme les retraites chapeaux ou les retraites surcomplémentaires.
Pour simplifier le débat, il suffit d’indiquer qu’une société prospère, dont le dirigeant s’accorderait, en violation de toutes les procédures réglementées une rémunération, ne caractérisera pas un abus de biens et des crédits de la société, dès lors que cette rémunération, quel que soit son montant, ne porte pas atteinte à la solidité financière ou à la solvabilité de la société. A l’inverse, ce même manquement caractérisera un abus, si cette rémunération ne peut pas être « absorbée » par les résultats de l’entreprise.
Ceci pour expliquer aux candidats à la plainte pénale, que le chemin qui mène à la condamnation de « l’impétrant » est semé d’embuches et surtout soumis à l’appréciation de Magistrats qui, au regard des circonstances de l’espèce, et sauf situation caricaturale, pourront juger que la rémunération, pour autant qu’elle soit illégale, c’est-à-dire illégalement récupérée par le dirigeant, ne constitue pas un abus de biens et des crédits de la société.
Il est donc préférable d’envisager ab initio la mise en place d’une procédure civile.
II – La rémunération du dirigeant sur le plan civil
Par souci de commodité, nous abordons le régime des SARL et des SA, étant rappelé que la rémunération dans les SAS est soumise aux dispositions statutaires.
II -1. Procédure de rémunération du dirigeant d’une SARL / sanction
Le chemin est clairement balisé par la Cour de Cassation, faute de texte légal qui au visa de l’article L.223-18 du Code de Commerce, juge que les associés décident librement de leur rémunération de gérant, soit dans les statuts, soit dans une décision collective[3]. Et la sanction est terrible. A défaut d’une Assemblée Générale fixant d’une année sur l’autre la rémunération, le dirigeant est condamné au remboursement des rémunérations irrégulièrement prélevées : « encourt dès lors la Cassation, l’Arrêt qui rejette les demandes en paiement des sommes prélevées au titre de sa rémunération par le gérant d’une société à responsabilité limitée au motif que les seuls associés sont le gérant et son épouse et qu’il sans intérêt de s’attacher à déterminer si les prélèvements critiqués ont été ou non autorisés par une Assemblée Générale ».
Au cas d’espèce cité, la Cour de Cassation avait fait droit à la demande de l’acquéreur de la société qui était cocontrôlée et dirigée par un couple, lequel, au regard de cette entente familiale, avait prélevé des rémunérations sans respecter le formalisme de l’Assemblée Générale.
Pire même, lorsque le principe de la rémunération est fixé par les statuts, la Haute Cour juge qu’elle doit quand même relever d’une décision ordinaire des associés[4]. Ainsi les titrage et résumé de la décision de principe pose en substance la Doctrine suivante :
« En présence d’une clause statutaire prévoyant que la rémunération de la gérance est fixée par une décision ordinaire des associés, il n’appartient pas aux Tribunaux saisis par le gérant en l’absence d’une telle décision de la déterminer, mais à ce dernier, de la solliciter à cette fin une décision collective des associés[5] ».
Il ressort de ce qui précède trois conséquences majeures attachées à la rémunération du dirigeant de la SARL :
Le gérant d’une SARL doit, d’une année sur l’autre, soumettre sa rémunération au vote des associés ;
S’il n’y satisfait pas le Juge ne peut fixer judiciairement cette rémunération ;
La sanction de la carence étant le remboursement des sommes indûment prélevées.
II – 2. La rémunération des dirigeants dans les Sociétés Anonymes
Depuis la loi NRE de 2001, c’est l’assemblée des actionnaires qui fixe les montants des membres du Conseil d’Administration et c’est le Conseil d’Administration qui en fait obligatoire la répartition entre les administrateurs, compte tenu évidemment d’éléments objectifs, telle que la participation à un contrôle de gestion. Après quoi, les actionnaires n’ont plus leur mot à dire, si ce n’est pour demander communication de ces montants en ce qui concerne les personnes les mieux rémunérées de la société, ce qui est en toute logique de l’évolution de la loi.
L’absence de respect du formalisme entraîne les mêmes sanctions de condamnation à restitution des rémunérations versées en violation du formalisme légal, voire statutaire si les statuts imposent des contraintes plus importantes encore que la loi.
Pour autant, le respect de ce formalisme ne met pas à l’abris le Mandataire social des sanctions pénales et/ou civiles.
II – 3. La rémunération excessive
De fait, la rémunération excessive, qu’elle soit appréciée sur le plan civil ou pénal, s’inscrit dans une même définition légale, avec des sanctions qui doivent, évidemment, être appréciées selon les circonstances de l’espèce, à savoir :
Si c’est la Juridiction Pénale qui statue, il importe peu de savoir si la rémunération a été approuvée ou pas, légalement ou statutairement, selon les formes légales ou statutaires, la Juridiction Pénale ne s’interrogera que sur le caractère excessif de la rémunération. Ainsi, à la sanction pénale, amende et/ou peine privative de liberté avec ou sans sursis, s’ajoutera la condamnation, sur le plan civil, au remboursement, non pas de la rémunération, mais de l’excès de rémunération ;
Sur un plan civil, il faut alors distinguer, selon que la rémunération a fait l’objet d’un processus d’approbation légale et/ou statutaire, avec forcément des sanctions variables :
Si la rémunération, excessive, a été approuvée, notamment parce que le dirigeant qui en bénéficie est par ailleurs actionnaire majoritaire, le dirigeant sera tenu de rembourser, comme en matière pénale, que la partie de l’excès de rémunération ;
Si au contraire, la rémunération est tout autant excessive que non légalement ou statutairement approuvée, alors le dirigeant devra rembourser la totalité des rémunérations.
[1] Cass. Crim. 25 septembre 2019 n°18-83.113 FPBI
[2] Cass. Crim. 20 juin 2007 n° 06-85.663
[3] Pour l’Arrêt de principe, voir Cass. Com. 25 septembre 2012 n° 11-22.754
[4] Cass. Com. 15 mars 2017 n° 14-17.873
[5] 38, voir également Cass. Com. 14 novembre 2006 n° 03-20.836