A quelles conditions un photographe professionnel peut il bénéficier du taux réduit de la TVA ?… la suite

Caroline DEVE
Caroline DEVE - Avocat

Source : conclusions de l’avocat général Mr Maciej SZPUNAR dans l’affaire C-145/18 pendante par devant la CJUE

 

Dans un arrêt du 20/02/2018 n°400837 commenté dans le cadre de la présente newsletter [1], le Conseil d’Etat interrogeait la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) sur les conditions dans lesquelles un photographe professionnel pouvait bénéficier du taux réduit de TVA dans le cadre d’une livraison d’œuvre d’art en lui transmettant une question préjudicielle.

 

Pour mémoire, le photographe, à l’origine du contentieux et qui  réalise principalement des photos de mariage et portraits pour particuliers, appliquait le taux réduit (5.5%) estimant qu’il relevait de l’article 278 septies 2° du CGI (dispositions aujourd’hui reprises par l’article 278-0 bis du même code) qui soumet à ce taux « Les livraisons d’œuvres d’art effectuées par leur auteur ou ses ayants droit ».

 

C’est l’article 98 A  de l’annexe III du CGI qui définit la notion d’œuvre d’art appliquée à la photographie : « Photographies prises par l’artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus ». Cette disposition est la transposition de l’annexe IX, partie A, point 7 de la directive 2006/112.

 

La question qui se pose en substance est de savoir s’il est possible de conditionner l’application du taux réduit, outre au respect des conditions reprises à l’article 98 A  de l’annexe III du CGI, au fait que les photos témoigne « une intention créatrice manifeste de la part de leur auteur »[2].

 

L’avocat général recherche tout d’abord l’objectif de la disposition de l’annexe IX, partie A, point 7 de la directive 2006/112 transposée en droit français à l’article 98 A  de l’annexe III du CGI.

 

Il note que ces dispositions précisent les étapes de l’exécution de la photographie qui doivent être réalisées par son auteur : la prise de vue qui doit être effectuée par l’auteur et le tirage sur papier ou autre support qui doit être réalisé par l’auteur ou son contrôle.

 

Il en déduit que « ces exigences permettent de distinguer les photographies pouvant être qualifiées d’« objets d’art » de la production photographique de masse dans le cas de laquelle, s’il y a tirage sur papier ou autre support, celui-ci est le plus souvent, entièrement ou partiellement, confié à des laboratoires spécialisés, sans que le photographe ait un contrôle sur l’effet final ».

 

En revanche, aucune exigence n’est relative à au sujet de la photographie ou à la qualité de son auteur en termes artistiques.

 

Ainsi, selon lui, « toute photographie réalisée dans les conditions énoncées à cette disposition et vendue dans les circonstances entraînant l’imposition à la TVA est réputée constituer un « objet d’art » au sens de ladite disposition. De même, toute personne ayant exécuté une telle photographie est qualifiée d’« artiste » au sens de cette même disposition».

 

Il en conclut que la directive doit être interprétée en ce qu’elle impose seulement que les photographies soient prises par leur auteur, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de 30 exemplaires pour pouvoir bénéficier du taux réduit.

 

Dans sa question préjudicielle, le Conseil d’Etat interrogeait également la CJUE sur le point de savoir si les Etat membres pouvaient conditionner l’application du taux réduit de TVA au fait que les photographies présentent un caractère artistique, notion qui serait définie par chaque Etat.

 

Si l’avocat général rappelle que la CJUE a jugé que les Etats membre peuvent valablement réserver l’application du taux réduit  à certaines prestations à condition de le faire dans le respect du principe de la neutralité fiscale, sa réponse en l’espèce est sans appel : « il me semble que la pratique administrative française concernant l’application du taux réduit aux photographies, telle que codifiée par l’instruction du 25 juin 2003, a non pas pour objectif l’application sélective de ce taux, au sens de la jurisprudence citée dans les présentes conclusions, mais l’établissement de critères additionnels permettant de distinguer les photographies ayant un caractère artistique de celles qui en sont dépourvues ».

 

Selon lui, la définition retenue par l’administration fiscale française est abstraite de sorte que les critères permettant de l’apprécier sont forcément « équivoques et subjectifs » ce qui ne permet pas le respect de de la sécurité juridique car « il laissent une marge d’appréciation pratiquement indéfinie à l’administration fiscale » ni le respect de la neutralité fiscale puisque « deux photographies objectivement identiques pourraient être imposées de manière différente selon qu’elles présentent ou non, du point de vue de l’administration fiscale, une intention créatrice manifeste et un intérêt pour tout public ».

 

Ainsi, l’avocat général propose de répondre que si les Etat membres peuvent réserver l’application du taux réduit à certaines catégorie de biens ou de prestations, sous réserve du respect de la sécurité juridique et de la neutralité fiscale, ils ne peuvent « à appliquer auxdits objets des exigences supplémentaires, fondées sur des critères vagues ou laissant une large marge d’appréciation aux autorités chargées de l’application des dispositions fiscales, tels que le caractère artistique d’un objet ».

 

Cette position peut être à mon sens également reprise pour les autres cas d’application du taux réduit de TVA impliquant, selon l’administration fiscale française, une appréciation du caractère artistique de la démarche du contribuable comme la cession de droits d’auteur portant sur des photographies.

 

[1] Cf notre article du 21 mars 2018 “A quelles conditions un photographe professionnel peut il bénéficier du taux réduit de la TVA ?”

 

[2] BOI-TVA-SECT-90-10-20140411

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