La saga du gage des stocks avec dépossession vs. sans dépossession : clap de fin ?

Thomas LAILLER
Thomas LAILLER

  

Source :Cass. com., 1er mars 2016, n°14-14.401, publié au bulletin

 

I. – Les faits de l’espèce

 

En 2009 une banque consent un prêt à une société. En garantie de celui-ci, un gage des stocks avec dépossession est consenti au bénéficie de l’établissement de crédit. Dès 2011, la société est placée en redressement judiciaire, procédure bientôt convertie en liquidation judiciaire.

 

Forte de sa garantie, la banque déclare sa créance à la procédure collective, à titre privilégié. Le juge-commissaire admettra bien cette créance, mais seulement à titre chirographaire. La cour d’appel confirmera cette décision, jugeant que le gage portait en l’espèce sur un stock de matières premières et d’approvisionnements, éléments visés à l’article L.527-3 du Code de commerce.

 

Ainsi, la convention des parties, dont l’une est un établissement de crédit, ne pouvait être soumise au droit commun des articles 2333 et suivants du Code civil et L.521-1 et suivants du Code de commerce, mais nécessairement au régime spécial du gage des stocksprévu par les articles L.527-1 et suivants de ce dernier code. Ne comportant pas les mentions cumulativement exigées par la loi, la lettre de la société invoquée par la banque ne valait pas constitution de gage des stocks.

 

II. – L’arrêt de cassation

 

La banque formera un pourvoi en cassation, reprochant aux juges du fonds d’avoir jugé ainsi, et dit en conséquence que sa créance, admise au passif de la procédure collective de la société, ne le serait qu’à titre chirographaire. Pour l’établissement de crédit, la rédaction de l’acte de gage des stocks avec dépossession consenti par sa cliente à son profit n’a pas à répondre aux exigences légales du gage des stocks sans dépossession, posées aux articles L.527-1 et suivants du Code de commerce.

 

La Cour de cassation suivra la banque dans son argumentation, estimant que les dispositions des articles L.527-1 et suivants du Code de commerce s’appliquent seulement au gage des stocks sans dépossession et ne font pas obstacle à ce que, pour un gage des stocks avec dépossession, les parties, dont l’une est un établissement de crédit, soumettent leur contrat au droit commun du gage de meubles, la cour d’appel ayant ainsi violé les textes susvisés, le premier par refus d’application et le second par fausse application.

 

La décision est donc censurée.

 

En d’autres termes, la rédaction d’un acte de gage des stocks avec dépossession consenti au profit d’un établissement bancaire n’a pas à répondre aux exigences légales du gage des stocks sans dépossession posées à l’article L.527-1 du Code de commerce, et qui prévoit notamment des mentions obligatoires, à peine de nullité (désignation des parties, de la créance garantie, de la durée de l’engagement etc.).

 

III. – La portée de la décision 

 

Ainsi les règles générales de droit commun du Code civil relatives au gage des meubles sont applicables au gage des stocks avec dépossession consenti au profit d’une banque. Il s’en suit que les règles applicables sont bien plus souples, les articles 2333 et suivants du Code civil n’exigeant que  l’établissement d’un écrit contenant la désignation de la dette garantie, la quantité des biens donnés en gage ainsi que leur espèce ou leur nature, et une inscription sur un registre spécial tenue par le greffier du tribunal de commerce dans le ressort duquel le constituant est immatriculé ou, s’il n’est pas soumis à l’obligation d’immatriculation, dans le ressort duquel est situé, selon le cas, son siège ou son domicile. 

 

Après avoir décidé que le régime du gage des stocks sans dépossession consenti au profit d’une banque est exclusif, et ne peut se voir appliquer le droit commun du gage de meubles sans dépossession[1], décision finalement anéantie[2] par la réforme du gage des stocks opérée par l’ordonnance n°2016-56 du 29 janvier 2016[3], la Cour de cassation précise un peu plus les contours du gage des stocks consenti au profit d’un établissement de crédit, et anticipe déjà la réforme qui entrera en vigueur le 1er avril prochain.

 

Celle-ci prévoit, conformément au droit commun du gage, que les parties pourront décider si la sûreté est constituée avec ou sans dépossession du débiteur, et qu’elles demeurent libres de recourir au gage des stocks ou au gage de meubles corporels.

 

IV. – Pour quel type de gage opter désormais ?

 

Quelle est donc aujourd’hui la meilleure formule ? En d’autres termes, quelle sûreté n’obérera pas la capacité du débiteur à obtenir du crédit, et ne le gênera pas dans son activité, tout en offrant les meilleures garanties de paiement au créancier en cas de défaillance du débiteur, et notamment en cas d’ouverture d’une procédure collective à son encontre ?

 

Des critères de choix doivent être dégagés pour concilier les intérêts antagonistes du débiteur et du créancier :

 

– La simplicité de constitution du gage : le gage de droit commun, avec ou sans dépossession, demeure minimaliste sur la question, et laisse une grande liberté aux parties dans la constitution du gage. Le gage sur stocks, bien qu’il soit simplifié depuis la réforme de 2016, reste plus formaliste avec ses mentions obligatoires et sa publicité sur un registre spécial ;

 

– Maintenir la capacité du débiteur à obtenir du crédit : le gage des stocks permet expressément de mettre en place une sûreté « glissante », dont l’assiette va diminuer à proportion du désintéressement du créancier[4]. Cela reste parfaitement envisageable dans les autres gages ;

 

– Ne pas entraver l’activité du débiteur : tout en préservant les intérêts du créancier, le gage doit gêner le moins possible l’activité du débiteur. S’agissant des stocks, plus sa rotation est rapide, plus la question est impérieuse. La solution se trouve le plus souvent dans la clause de substitution ou de reconstitution (même si des questions pratiques se posent comme la fongibilité des marchandises remplacées par exemple) ;

 

– Obtenir un paiement, même en cas de procédure collective du débiteur : le droit de rétention est dans ce cas le meilleur allié du créancier. Il est effectif, quelque soit d’ailleurs le type de gage (le droit de rétention est alors fictif pour un gage sans dépossession), et répond de la règle d’antériorité (un gage sans dépossession antérieur à un gage avec dépossession est prioritairement payé en cas de rétention[5]). Le droit de rétention est ainsi opposable en cas de plan de cession, ou de liquidation judiciaire. A l’inverse, depuis l’ordonnance du 18 décembre 2008 réformant les procédures collectives, le droit de rétention fictif est inefficace en cas de plan de sauvegarde ou de redressement[6]. Le gage avec dépossession devient alors plus avantageux.

 

Le choix du gage adéquat n’est donc pas aisé, même si l’on constate que la dépossession sécurise d’avantage la garantie. En 2006, l’institution du gage spécial des stocks était critiquée, à cause notamment de sa complexité face au droit commun. En 2016, bien que simplifié et plus attractif, le gage des stocks reste décrié, car il a désormais perdu sa spécificité comparé au droit commun du gage. La véritable simplification du droit tant souhaitée par le législateur devrait, à notre sens, passer par un régime unitaire et libéral du gage sans dépossession.

 

Thomas LAILLER

Vivaldi-Avocats


[1] Voir notre article sur ce sujet : Gage sur stock sans dépossession au profit d’une banque : confirmation de l’exclusivité de son régime, et donc de l’impossibilité de soumettre le contrat au droit commun du gage de meubles sans dépossession

[2] La solution restera tout de même valable pour les gages sur stocks consentis avant le 1er avril 2016. Par conséquent, ils risqueront toujours d’être annulés notamment parce qu’ils ne respectent pas les conditions de validité du gage de stocks.

[3] Voir notre article sur ce sujet : Réforme du gage des stocks

[4] Art. L.527-5, al. 1, C.com : « Les stocks restent entièrement gagés jusqu’au complet paiement de la créance garantie, sauf stipulation prévoyant que l’étendue du gage diminue à proportion du paiement de la créance. »

[5] Art. 2340 C. civ. : « Lorsqu’un même bien fait l’objet de plusieurs gages successifs sans dépossession, le rang des créanciers est réglé par l’ordre de leur inscription.

Lorsqu’un bien donné en gage sans dépossession fait ultérieurement l’objet d’un gage avec dépossession, le droit de préférence du créancier gagiste antérieur est opposable au créancier gagiste postérieur lorsqu’il est régulièrement publié nonobstant le droit de rétention de ce dernier. »

[6] Art. L.622-7, al. 2, C.com. : « De même, il emporte, de plein droit, inopposabilité du droit de rétention conféré par le 4° de l’article 2286 du code civil pendant la période d’observation et l’exécution du plan, sauf si le bien objet du gage est compris dans une cession d’activité décidée en application de l’article L. 626-1. »

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