Délit d’initié et notion d’information privilégiée.

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

 

SOURCE : Cass.com., 13 novembre 2013, n°12-21572, Inédit.

 

Les titres du groupe Clarins étaient admis aux négociations sur le compartiment A d’Euronext Paris. Le 27 juin 2008, un projet d’OPAS (offre publique d’achat simplifiée) était déposé par la Financière FC, holding familial de contrôle de Clarins, au prix de 55,50 € par action (alors que la dernière cotation était de 43,72€). Cette OPAS portait sur 27,4 % du capital et avait ouvert la voie à un retrait de la cote du groupe français de cosmétique après vingt-quatre ans passés en Bourse.

 

Le Service de la surveillance des marchés de l’AMF a constaté des achats atypiques représentant une part importante des volumes d’échanges sur le marché du titre Clarins durant la période précédant l’annonce de l’offre.[1]

 

5 personnes ont été sanctionnées par l’AMF, parmi lesquels figure un ancien de la direction des émetteurs de l’AMF, par ailleurs salarié de la banque chef de file de l’opération, lequel a effectué un achat massif d’action Clarins et confié l’information à sa famille et amis, qui procèdèrent à leur tour à l’acquisition massive de titres du groupe.

 

Pour sanctionner le salarié, l’AMF avait constaté la réunion des éléments constitutifs du manquement d’initié à son égard :

 

L’utilisation d’une information « privilégiée »… :

 

L’information était privilégiée

 

Aux termes de l’article 621-1 du RGAMF, l’information privilégiée doit être précise, non publique et susceptible, si elle était rendue publique, d’avoir une influence sensible sur le cours du titre[2]

 

   Précise :

 

L’AMF considérait que les OPAS sont moins aléatoires que les OPA, dans la mesure où les intérêts des différents protagonistes (direction, actionnaire majoritaire et offrant) sont convergents. En outre, l’accord de principe de la banque, la veille du premier achat de titres par le salarié, permettait raisonnablement de considérer que le projet allait aboutir.

 

   Non publique

 

L’OPAS n’a été dévoilée que le mois suivant, à l’occasion d’un communiqué de presse.

 

   Susceptible d’influencer le cours du titre

 

L’OPAS visant un retrait de la cote, prévoit en général une prime d’un montant propre à encourager l’apport des titres à l’offre, ce qu’un investisseur raisonnable peut légitimement prévoir, et qui a été d’ailleurs vérifié le mois suivant.

 

Pour l’AMF, il s’agissait donc bien d’une information privilégiée.

 

L’information a été utilisée par le salarié.

 

 

Cet élément matériel a été déduit d’un faisceau d’indice permettant à l’Autorité de considérer que le salarié disposait de l’information privilégiée lors de son achat massif de titres:

 

– Il existait un lien étroit entre lui et l’une des personnes figurant sur la liste des initiés établie conformément à l’article L621-18-4 du CMF ;

 

– la première opération boursière se déroule le lendemain de l’accord de principe de la banque, laquelle avait placé le titre Clarins sur sa liste d’interdiction, et concomitamment à une conversation téléphonique entretenue avec l’initié susmentionné ;

 

– l’investissement massif, atypique, quatre fois supérieur au plus gros investissement réalisé par le salarié et sa famille, ne peut s’expliquer par d’autres motifs.

 

 en connaissance de cause :

 

 

Compte tenu de l’expérience professionnelle du salarié (cabinet d’audit, institution financière) celui-ci ne pouvait ignorer le caractère privilégié de l’information.

 

En conséquence, l’AMF avait prononcé à son encontre une sanction de 300.000 euros.

 

L’affaire avait été soumise à la Cour d’appel de Paris, laquelle a rejeté le recours formé contre la décision de l’AMF :

 

En premier lieu, la Cour confirme qu’à la date du premier investissement, le projet est suffisamment défini pour avoir des chances d’aboutir, se fondant essentiellement sur les arguments développés par l’AMF ;

 

En second lieu, la Cour, après avoir rappelé que la détention d’une information privilégiée peut être établie soit par une preuve tangible, soit, à défaut, par un faisceau d’indices concordants desquels il résulte que seule la détention de l’information privilégiée peut expliquer, sans équivoque[3], les opérations auxquelles les personnes mises en cause ont procédé, retient que le montant des investissements au regard de ceux habituellement pratiqués et les liens étroits avec une des personnes mentionnées sur la liste d’initiés, de sorte que seule la détention de l’information privilégiée justifie ses acquisitions.

 

Le salarié, qui contestait d’une part la précision de l’information, dès lors que l’accord définitif de la banque n’avait été donné que postérieurement à l’acquisition des titres et qu’une étude de faisabilité du projet venait simplement d’être commandée, et qu’il n’était pas démontré qu’il ait détenu une information privilégiée.

 

La Cour de cassation rejette le pourvoi partageant la position de la Cour d’appel et de l’AMF, considérant qu’il existait, à la date à laquelle le salarié avait réalisé ses investissements, une information précise que le ce dernier avait utilisé.

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats

 


[1] Cf décision AMF du 18 novembre 2010,

[2] Pour le Règlement général de l’AMF, cliquez ici

[3] Cass com, 1er juin 2010, n°09-14684 et notre commentaire sur l’arrêt de la Cour d’appel de renvoi

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