Délai de recours décennal contre un constructeur

Amandine Roglin

Pour interrompre le délai de prescription d’une action décennale, il est nécessaire que la demande en justice vise directement le constructeur responsable.

Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 9 octobre 2025, 24-10.405, Inédit

Dans cette affaire, un bâtiment à usage d’habitation a été édifié et réceptionné le 7 juin 2008. Le syndicat des copropriétaires, constatant des malfaçons affectant les façades, saisit le juge des référés, qui ordonne une mesure d’expertise le 4 avril 2014. Le rapport d’expertise est déposé le 6 mars 2015.

Le 31 mai 2017, le syndicat assigne l’assureur du constructeur pour obtenir le paiement des travaux de reprise. Par la suite, le 8 décembre 2017, le maître de l’ouvrage appelle l’entreprise en cause, qui oppose une fin de non-recevoir pour forclusion. Les juges du fond condamnent néanmoins le constructeur sur le fondement de sa responsabilité décennale, considérant que la prescription avait été interrompue.

La Cour de cassation censure cette décision. Elle relève que la cour d’appel n’a pas précisé si l’entreprise avait été directement appelée aux opérations d’expertise et n’a pas répondu aux arguments selon lesquels la première demande financière dirigée directement contre le constructeur sur le fondement de la garantie décennale n’a été présentée que le 26 février 2020. En statuant sans examiner cette question, la cour d’appel a violé les textes applicables.


Observations jurisprudentielles

  1. Principe de l’interruption de la prescription :
    La jurisprudence constante précise que pour être interruptive, une action en justice doit viser directement la personne à l’encontre de laquelle on veut empêcher la prescription. La seule saisine du juge des référés, ou d’un tiers (par exemple l’assureur), n’interrompt pas la prescription à l’égard du constructeur, sauf si celui-ci est explicitement appelé (Cass. 1re civ., 18 mai 2022, n° 20-22.234 ; Cass. 3e civ., 2 mars 2011, n° 10-30.295).
  2. Application au syndicat de copropriétaires :
    Dans les litiges immobiliers, les syndicats doivent agir directement contre le constructeur pour que leur assignation interrompe la prescription de l’action décennale. Si la demande initiale ne vise que l’assureur ou se limite à une expertise, aucune interruption de prescription n’est produite à l’égard du constructeur (Cass. 3e civ., 7 nov. 2012, n° 11-23.229).
  3. Conséquence pratique :
    Les actes introductifs d’instance ou les requêtes en référé qui ne visent pas explicitement le constructeur n’ont pas d’effet interruptif de prescription. Cela souligne l’importance de cibler précisément les responsables dans les assignations pour préserver le droit à agir.

En synthèse, cette décision rappelle un principe fondamental de la prescription en matière de responsabilité décennale : la prescription ne peut être interrompue que par une action dirigée contre le responsable lui-même. Les demandes adressées uniquement à l’assureur ou dans le cadre d’une mesure d’expertise n’ont pas d’effet interruptif à son égard.

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