Bail commercial, date de notification et opposabilité au bailleur d’un « congé » triennal notifié par LRAR

Alexandre BOULICAUT
Alexandre BOULICAUT - Juriste

Chers lecteurs CHRONOS, bannissez une fois pour toutes la lettre recommandée avec accusé de réception ! Nouvelle illustration jurisprudentielle des dangers du recours à la lettre recommandée avec l’arrêt – publié – du 16 mars 2023. Pour la Haute juridiction, le date de notification du « congé » (triennal) délivré par le locataire sous pli recommandé avant le 14 mars 2016, est celle de sa présentation par les services postaux au destinataire habilité à le recevoir, peu importe la date de réception par le destinataire. En réalité, en recourant à la lettre recommandée, le locataire commercial abandonne son sort entre les mains des services postaux….

SOURCE : Cass.civ 3ème, 16 mars 2023, n°21-22240, FS – B

I – Les faits de l’espèce et la solution de la Cour de cassation

L’arrêt soumis à la censure de la Cour de cassation s’inscrit dans un litige résumé en substance comme suit :

Un locataire commercial exerce en cours de bail, son droit de résiliation triennale pour l’échéance du 31 juillet 2016, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception expédiée le 31 janvier 2016, et reçue par le bailleur le 5 février 2016.

Contestant la validité du « congé » délivré, le bailleur délivre en cours d’année 2017 un commandement de payer visant la clause résolutoire puis assigne le locataire en paiement des loyers et charges prétendument dus.

Débouté de sa demande en cause d’appel, le bailleur se pourvoit en cassation et soutient que le délai de préavis applicable au congé devait courir à compter du jour de la réception de la lettre recommandée ou de la signification de l’acte d’huissier, et non de sa date d’envoi.

La Cour de cassation rejette le pourvoi au visa de l’article 668 du Code de procédure civile applicable au cas d’espèce (congé délivré avant l’entrée en vigueur du texte – 1er mars 2006) :

« Sous réserve de l’article 647-1, la date de la notification par voie postale est, à l’égard de celui qui y procède, celle de l’expédition et, à l’égard de celui à qui elle est faite, la date de la réception de la lettre ».

Et cette dernière juge dans ses titrages et résumés littéralement repris que :

« Une cour d’appel retient, à bon droit, que, ayant été délivré avant l’entrée en vigueur du décret n° 2016-296 du 11 mars 2016, le congé donné par un locataire pour l’échéance triennale, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, est régi par l’article 668 du code de procédure civile, en sorte que la lettre envoyée le dernier jour du délai dans lequel la notification doit être réalisée, est régulière si elle est présentée par les services de la poste au destinataire habilité à la recevoir, peu important la date de réception par ce dernier. Ayant relevé que l’échéance triennale du bail expirait le 31 juillet 2016, elle en a exactement déduit que le congé du locataire envoyé le 31 janvier 2016 par lettre recommandée respectait le délai de six mois imposé par l’article L. 145-4 du code de commerce ».

II – Rappels théoriques

Pour mémoire, la durée d’un bail commercial soumis au statut des baux commerciaux (article L145-1 et suivants et R145-1 et suivants du Code de commerce), ne peut être inférieure à neuf ans[1].

Particularité du statut des baux commerciaux : le terme contractuel ne constitue pas un terme extinctif. Autrement dit, le bail se prolonge par tacite prolongation une fois le terme contractuel passé, et seul un congé (ou une demande de renouvellement), peut y mettre fin[2].

Envisagé côté preneur commercial, le bail est donc très engageant, même si la Loi Pinel du 18 juin 2014 est venu aménager la possibilité pour le locataire de résilier d’ordre public, à l’issue chaque échéance triennale, son bail commercial (sauf exceptions). But affiché : permettre au locataire de s’adapter à la situation économique.

Le régime de l’article L145-4 (alinéa 2) du Code de commerce a ainsi été profondément modifié par la loi Pinel (et dans une moindre mesure par la Loi Macron du 6 août 2015) :

« Toutefois, , le preneur a la faculté de donner congé à l’expiration d’une période triennale, au moins six mois à l’avance[3], par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte extrajudiciaire. Les baux conclus pour une durée supérieure à neuf ans, les baux des locaux construits en vue d’une seule utilisation, les baux des locaux à usage exclusif de bureaux et ceux des locaux de stockage mentionnés au 3° du III de l’article 231 ter du code général des impôts peuvent comporter des stipulations contraires ».

La lettre de l’alinéa 2 de l’article L145-4 du Code de commerce laisse donc au locataire un choix de forme : la lettre recommandée ou l’acte d’huissier.

III – Lettre recommandée VS acte d’huissier

Les lecteurs preneurs à bail commercial habitués de CHRONOS, savent d’ores et déjà qu’il est fortement déconseillé en pratique de recourir à la lettre recommandée en cas d’exercice du droit de résiliation triennale, en raison de son manque de sécurité juridique et d’efficacité judiciaire limitée[4] : Si le bailleur ne récupère pas le pli recommandé, s’il conteste l’avoir reçu entre ses mains, ou encore si le pli revient au preneur avec la mention « pli avisé et non réclamé », le congé n’est pas opposable au bailleur, et le locataire doit recommencer en signifiant le congé par huissier[5]. Or, le délai de préavis est peut-être déjà passé entre temps : résultat, le preneur est à nouveau engagé dans une nouvelle période de trois années.

Issu du décret du 11 mars 2016 (n°2016-296), l’article R145-38 du Code de commerce en vigueur depuis le 14 mars 2016 dispose que :

« Lorsqu’en application des articles L. 145-4(…), une partie a recours à la lettre recommandée avec demande d’avis de réception, la date de notification à l’égard de celui qui y procède est celle de l’expédition de la lettre et, à l’égard de celui à qui elle est faite, la date de première présentation de la lettre. Lorsque la lettre n’a pas pu être présentée à son destinataire, la démarche doit être renouvelée par acte extrajudiciaire ».

En réalité, cet article R145-38 s’inspire grandement des dispositions de l’article 668 du Code de procédure civile toujours en vigueur.

L’apport doctrinal de l’arrêt commenté, tient à la date de notification applicable au « congé » triennal délivré par le locataire sous pli recommandé, savoir la date de présentation de la lettre par les services postaux au destinataire habilité à le recevoir, et peu importe la date de réception par le destinataire.

Une telle solution est critiquable dans la mesure où en principe un « congé » n’a qu’une seule date, et il serait logique que cela soit la date de première présentation de la lettre au bailleur, puisque le préavis est établi dans son intérêt (recherche d’un futur locataire commercial)…

Notons enfin, que l’article L145-9 du Code de commerce en vigueur, impose de recourir à l’acte d’huissier en cas de congé délivré par le bailleur (et par le preneur ?), texte qui ne s’applique pas aux « congés » triennaux délivrés par le locataire commercial (article L145-4 du C.com), lequel dispose seul de la faculté de recourir à la lettre recommandée avec demande d’avis de réception.


[1] Article L145-4 alinéa 1er du C.com

[2] Article L145-9 alinéas 1 et 2 du C.com

[3] Note : le préavis de six mois se calcule par rapport à la date d’expiration de la période triennale : Cass. civ 3ème, 3 juillet 2013, n°12-17914, FS – PB

[4] https://vivaldi-chronos.com/bail-commercial-renouvellement-resiliation-a-la-requete-du-preneur-des-dangers-de-la-lettre-recommande-avec-demande-davis-de-reception/

[5] Cf article R145-38 du C.com

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