Les congés payés sont désormais pris en compte pour le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, de sorte que le salarié peut prétendre au paiement des majorations pour heures supplémentaires qu’il aurait perçues s’il avait travaillé durant toute la semaine
Dans un arrêt du 10 septembre 2025, la Cour de cassation prend désormais en compte les congés payés pour le déclenchement du seuil des heures supplémentaires.
Désormais, la Cour de cassation écarte la règle de droit français qui n’était pas conforme au droit de l’Union et reconnait qu’un salarié soumis à un décompte hebdomadaire de la durée du travail, peut prétendre au paiement d’heures supplémentaires sur la semaine au cours de laquelle il a posé un jour de congé payé et n’a donc pas effectué 35 heures de travail « effectif. » Les congés payés sont donc dorénavant pris en compte pour le seuil de déclenchement des heures supplémentaires.
La Cour de cassation se fonde sur l’article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui dispose que tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés, ainsi que sur l’article L. 3121-28 du code du travail, aux termes duquel, toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.
En application de ce texte, la Cour de cassation a jugé que les jours de congés payés ne peuvent être pris en compte, à défaut de dispositions légales ou conventionnelles ou d’un usage contraire, pour la détermination des heures supplémentaires[1]. Toutefois, la Cour de justice de l’Union européenne juge que le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l’Union[2].
La Haute juridiction rappelle par ailleurs dans sa décision que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, traite le droit au congé annuel et celui à l’obtention d’un paiement à ce titre comme constituant deux volets d’un droit unique[3].
La Cour de justice juge que l’obtention de la rémunération ordinaire durant la période de congé annuel payé vise à permettre au travailleur de prendre effectivement les jours de congé auxquels il a droit[4]. La Cour de justice précise que les incitations à renoncer au congé de repos ou à faire en sorte que les travailleurs y renoncent sont incompatibles avec les objectifs du droit au congé annuel payé, tenant notamment à la nécessité de garantir au travailleur le bénéfice d’un repos effectif, dans un souci de protection efficace de sa sécurité et de sa santé. Ainsi, toute pratique ou omission d’un employeur ayant un effet potentiellement dissuasif sur la prise du congé annuel par un travailleur est également incompatible avec la finalité du droit au congé annuel payé[5].
La Cour de justice considère qu’un travailleur pouvait être dissuadé d’exercer son droit au congé annuel compte tenu d’un désavantage financier, même si celui-ci intervient de façon différée, à savoir au cours de la période suivant celle du congé annuel[6].
Dans un arrêt du 13 janvier 2022, la Cour de justice a dit pour droit : l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, lu à la lumière de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition d’une convention collective en vertu de laquelle, afin de déterminer si le seuil des heures travaillées donnant droit à majoration pour heures supplémentaires est atteint, les heures correspondant à la période de congé annuel payé pris par le travailleur ne sont pas prises en compte en tant qu’heures de travail accomplies[7].
Par arrêt du 6 novembre 2018[8], la Cour de justice a jugé qu’en cas d’impossibilité d’interpréter une réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l’article 7 de la directive 2003/88 et l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux, la juridiction nationale doit laisser ladite réglementation nationale inappliquée. La Cour de Justice précise que cette obligation s’impose à la juridiction nationale en vertu de ces deux dispositions lorsque le litige oppose un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité d’autorité publique et en vertu de la seconde de ces dispositions lorsque le litige oppose le bénéficiaire à un employeur ayant la qualité de particulier.
Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée la réglementation nationale.
A partir de ces textes, la Cour de cassation énonce qu’il convient en conséquence d’écarter partiellement l’application des dispositions de l’article L. 3121-28 du code du travail en ce qu’elles subordonnent à l’exécution d’un temps de travail effectif les heures prises en compte pour la détermination du seuil de déclenchement des heures supplémentaires applicable à un salarié, soumis à un décompte hebdomadaire de la durée du travail, lorsque celui-ci, pendant la semaine considérée, a été partiellement en situation de congé payé, et de juger que ce salarié peut prétendre au paiement des majorations pour heures supplémentaires qu’il aurait perçues s’il avait travaillé durant toute la semaine.
Pour limiter à certaines sommes les condamnations de l’employeur à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires et congés payés afférents, les arrêts retiennent que le chiffrage proposé à titre subsidiaire par l’employeur correspond, selon le décompte produit, aux sommes revendiquées par les salariés déduction faite des sommes correspondant à l’absence de majoration applicable en cas de semaine incomplète.
La Haute juridiction conclut qu’en statuant ainsi, alors que le décompte adopté par elle excluait les périodes de congés payés de l’assiette de calcul hebdomadaire des heures supplémentaires, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
En résumé, par cette décision, il convient désormais d’écarter partiellement l’application des dispositions de l’article L. 3121-28 du code du travail en ce qu’elles subordonnent à l’exécution d’un temps de travail effectif les heures prises en compte pour la détermination du seuil de déclenchement des heures supplémentaires applicable à un salarié, soumis à un décompte hebdomadaire de la durée du travail, lorsque celui-ci, pendant la semaine considérée, a été partiellement en situation de congé payé, et de juger que ce salarié peut prétendre au paiement des majorations pour heures supplémentaires qu’il aurait perçues s’il avait travaillé durant toute la semaine.
Sources : Cass. soc. 10 septembre 2025 n° 23-14.455 FP-BR
[1] Soc., 1er décembre 2004, pourvoi n° 02-21.304, Bull. 2004, V, n° 318 ; Soc., 9 février 2011, pourvoi n° 09-42.939, Bull. 2011, V, n° 46 ; Soc., 4 avril 2012, pourvoi n° 10-10.701, Bull. 2012, V, n° 115
[2] CJUE, 6 novembre 2018, Stadt Wuppertal c/ Bauer, C-569/16 et Willmeroth c/ Broßonn, C-570/16, point 80
[3] CJUE, 20 janvier 2009, Schultz-Hoff e.a., C-350/06 et C-520/06, point 60 ; CJUE, 15 septembre 2011, Williams e.a., C-155/10, point 26
[4] CJUE, 16 mars 2006, Robinson-Steele e.a., C-131/04 et C-257/04, point 49 ; CJUE, 13 décembre 2018, Hein, C-385/17, point 44
[5] CJUE, 6 novembre 2018, Kreuziger, C-619/16, point 49
[6] CJUE, 22 mai 2014, Lock, C-539/12, point 21
[7] CJUE, 13 janvier 2022, DS c/ Koch Personaldienstleistungen GmbH, C-514/20
[8] CJUE, 6 novembre Stadt Wuppertal c/ Bauer, C-569/16 et Willmeroth c/ Broßonn, C-570/16