Seule la mauvaise foi du salarié lanceur d’alerte peut justifier un licenciement, celle-ci ne pouvant résulter que de la connaissance par ce dernier de la fausseté des faits qu’il dénonce

Pierre FENIE

Le salarié qui relate ou témoigne de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance de la fausseté des faits qu’il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis. La mauvaise foi ne pouvait être déduite d’une simple divergence d’analyse sur la qualification pénale que les faits seraient susceptibles de recevoir.

La loi du 9 décembre 2016, dite « loi Sapin II », sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique a mis en place un statut du lanceur d’alerte. Désormais, le lanceur d’alerte jouit d’un véritable statut. La loi a notamment mis en place une procédure spécifique et a donné au donneur d’alerte une protection contre les éventuelles représailles. A noter que la loi du 21 mars 2022 a étendu la définition du lanceur d’alerte, de sorte que le législateur a élargi la protection des lanceurs d’alertes mais a aussi simplifié les canaux de signalement.

Le lanceur d’alerte est « une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement. Lorsque les informations n’ont pas été obtenues dans le cadre des activités professionnelles mentionnées au I de l’article 8, le lanceur d’alerte doit en avoir eu personnellement connaissance[1] ».

C’est dans ce contexte qu’un salarié, engagé en qualité d’inspecteur vérification risques industriels a adressé à l’Agence française anticorruption deux signalements portant sur des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale de fraude fiscale et d’abus de biens sociaux commis par son employeur.

L’employeur avait contesté l’analyse du salarié, en faisant valoir qu’il avait reçu tous les éléments de réponse à ses interrogations, et lui reprochait de fonder son analyse sur une jurisprudence fluctuante et controversée relative à la faute dolosive de l’assuré.

Quelques mois plus tard, le salarié avait été licencié pour faute lourde. Ce dernier a alors saisi le Conseil de prud’hommes pour contester son licenciement considérant que celui-ci constituait une mesure de représailles à ses signalements. Il demandait alors à la juridiction de voir déclarer nul son licenciement. La Cour d’appel de Colmar a fait droit à la demande du salarié. L’employeur a alors formé un pourvoi en cassation.

La Cour de cassation rappelle les textes applicables au statut du lanceur d’alerte en rappelant qu’ « aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ». Par ailleurs, elle rappelle que tout acte pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance de ces dispositions est nul.

Ainsi, le salarié qui relate ou témoigne de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance de la fausseté des faits qu’il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.

La Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir retenu que la mauvaise foi ne pouvait être déduite d’une simple divergence d’analyse sur la qualification pénale que les faits seraient susceptibles de recevoir, en sorte que la mauvaise foi du salarié n’était pas établie.

En définitive, la mauvaise foi du lanceur d’alerte ne peut résulter que de sa connaissance de la fausseté des faits qu’il dénonce, de sorte qu’une divergence d’analyse sur une qualification pénale des faits entre le salarié lanceur d’alerte et l’employeur ne suffit pas à caractériser la mauvaise foi.

Cet arrêt confirme la position de la jurisprudence en la matière puisqu’elle avait déjà eu l’occasion d’énoncer que la mauvaise foi ne pouvait résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénonces ne sont pas établis[2].

Sources : Cass. soc., 6 mai 2025, n° 23-15.641


[1] Art. 6, loi Sapin II

[2] Cass. soc., 8 juill. 2020, n° 18-13.593

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