Le simple aménagement d’une disposition supplétive n’est pas suffisant à caractériser un déséquilibre significatif

Thomas Chinaglia

Au sein d’un contrat, le fait qu’une clause aménage, en faveur d’une partie, certaines dispositions supplétives du droit des contrats (en l’espèce celles de la force majeure), n’est pas de nature à créer un déséquilibre significatif au sens des pratiques restrictives de concurrence. Afin de déterminer si cet aménagement est susceptible de créer un tel déséquilibre, encore faut-il mener une analyse concrète de l’économique générale du contrat.

Com. 26 févr. 2025, n° 23-20.225

I –

En l’espèce, une société avait réservé un emplacement dans un salon en versant un acompte de 50.000 euros. Du fait de la pandémie du Covid-19, le salon se voyait contraint d’être déprogrammé. La société sollicita alors la restitution de l’acompte, ce que l’organisateur refusait au motif que ses conditions générales stipulaient que l’acompte serait conservé en cas de « raisons majeures, imprévisibles ou économiques » et qu’ « il ne pourra être demandé de dommages-intérêts à l’organisateur dans le cas où la manifestation devait être annulée par suite d’évènement présentant un caractère de force majeure ».

La cour d’appel de Paris considère cette clause comme valide et la société se pourvoit en cassation. Elle considère en effet que cette clause, qui aménage de manière contractuelle les effets de la force majeure, crée un déséquilibre significatif à son encontre, en se fondant sur les pratiques restrictives de concurrence prévues par le Code de commerce.

La société affirme au soutien de ses prétentions que l’application classique de l’article 1218 du Code civil traitant de la question de la force majeure, aurait dû conduire à la résolution de plein droit du contrat, ce qui aurait eu pour effet de provoquer le remboursement de l’acompte.

La question qui était alors posée à la Cour de cassation était de savoir si un déséquilibre significatif pouvait simplement se déduire du seul fait qu’une clause aménage, au profit d’une partie, des dispositions supplétives qui se seraient appliquées en l’absence d’un tel aménagement ?

La Cour de cassation répond par la négative.

II –

Pour rappel, l’article 1128 du Code civil dispose :

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. […] »

L’article L.442-1, I.2° du Code de commerce dispose quant à lui :

« I.-Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l’exécution d’un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services :

1° […]

2° De soumettre ou de tenter de soumettre l’autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; […] »

La Cour de cassation a fait le choix de ne pas appliquer les dispositions du Code de commerce car elle considère que l’appréciation du déséquilibre significatif passe par une analyse concrète de l’économie générale du contrat. Un tel déséquilibre ne peut se déduire du seul fait que la clause litigieuse place la partie qui invoque à son profit cette disposition dans une situation moins favorable que celle résultant de l’application de dispositions législatives ou réglementaires supplétives de la volonté des cocontractants.

On comprend le raisonnement de la Cour de cassation dans la mesure où les parties sont libres d’aménager les dispositions du droit des contrats qui peuvent l’être, c’est-à-dire celles qui ne sont pas d’ordre public.

Reconnaitre un tel déséquilibre lors d’aménagement de dispositions supplétives reviendrait à systématiquement nier une liberté qui est pourtant accorder aux parties à un contrat. A titre d’exemple, il ne serait donc pas possible de prévoir des clauses limitatives de responsabilité car elles dérogeraient à l’article 1231-3 du Code civil ou encore des clauses anti-révision pour imprévision tel que prévu par l’article 1195 du même code.

De manière générale, il est donc nécessaire de démontrer en quoi l’aménagement d’une disposition supplétive génère, dans une situation donnée, un déséquilibre significatif, sans que celui-ci ne soit reconnu de manière automatique.

Il convient donc de procéder à une analyse concrète du contrat litigieux. Seule une étude du contrat incriminé permet de caractériser le déséquilibre significatif. Il faut procéder au cas par cas. Négativement, cette approche empêche de considérer qu’une clause ayant, dans un contrat particulier, créé un déséquilibre significatif génèrera forcément ce même déséquilibre dans un autre contrat. Cette distinction se justifie par « l’économie générale » de ces contrats qui peut être radicalement différente, si bien qu’une même clause pourrait créer un déséquilibre dans le premier et non dans le second.

L’intérêt pratique de cet arrêt est de rappeler tout l’intérêt de rédiger des conditions générales anticipant les difficultés pouvant survenir dans la vie des affaires.

Partager cet article