Pouvoir du juge de suspendre l’application d’une clause résolutoire pour tout défaut d’exécution du preneur

Thomas Chinaglia

Le juge a le pouvoir d’ordonner la suspension des effets d’une clause résolutoire, non seulement en cas de défaut de paiement des loyers et charges, mais encore pour tout manquement à ses obligations contractuelles.

Civ. 3ème, 6 février 2025, n°23-18.360

I –

En l’espèce, un bailleur avait donné à bail à un preneur un local commercial à usage de restaurant. Le bail stipulait que, sauf les exceptions prévues par la législation en vigueur, les lieux loués devaient toujours rester ouverts, exploités et achalandés. Bien qu’après avoir fait constater la fermeture du restaurant, le bailleur délivrait au locataire, quelques jours seulement après, un commandement de reprendre l’exploitation du fonds, visant la clause résolutoire expressément prévue au bail.

Le bailleur faisait assigner le locataire en constatation de la résiliation du bail. Ce dernier formait une demande de délai avec suspension des effets de la clause résolutoire.

Les juges du fonds rejetèrent la demande du preneur au motif que des délais ne pouvaient être accordés que pour non-paiement des loyers et charges, les obligations de faire étant ainsi hors champ d’application de ce principe.

La Cour de cassation accepta la demande et posa le principe selon lequel des délais pouvaient être accordés à un preneur, quelle que soit l’infraction commise par ce dernier, et donc non pas uniquement en cas de défaut de paiement des loyers et/ou des charges locatives.

II –

Alors que les juges du fonds s’appuyaient sur l’article 1343-5 du Code civil pour rejeter la demande du preneur, la Cour de cassation s’est elle appuyée sur l’article L.145-41 du Code de commerce.

Pour rappel, l’article 1343-5 du Code civil dispose :

« Le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital.

[…] »

Il est à première vue logique que la cour d’appel dont l’arrêt est cassé a été tentée d’appliquer ce texte pour rejeter la demande du preneur. En effet, cet article figure sous une sous-section intitulée « Dispositions particulières, aux obligations de sommes d’argent », de plus, le texte vise précisément « le paiement des sommes dues ». Le preneur demandant donc l’obtention d’un délai afin d’exécuter une obligation non pécuniaire (une obligation de faire) s’est vu confronter à l’application stricte de ce texte par les juges du fond.

La Cour de cassation a fait le choix d’appliquer l’article L.145-41 du Code de commerce qui dispose :

« Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

Les juges saisis d’une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l’article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n’est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l’autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge. »

La solution de la Cour de cassation s’explique grâce à l’évolution législative du texte susvisé. Alors qu’avant la loi n°89-1008 du 31 décembre 1989, il n’était possible pour les locataires de demander l’application de ce texte qu’en cas seulement de non-paiement des loyers, au lendemain de l’entrée en vigueur de cette loi, les termes « à défaut de paiement du loyer aux échéances convenues » étaient supprimés.

Dès lors, le nouveau texte pouvait désormais s’appliquer à toute infraction et notamment, le non-paiement des charges et taxes[1], le défaut de paiement de l’indemnité d’occupation[2] ou encore d’autres manquements aux clauses et conditions du bail[3].

Il est désormais également possible pour le repreneur de requérir l’application de ce texte afin d’obtenir un délai dans l’exécution de certaines obligations de faire telles que la production d’une attestation d’assurance[4], pour exécuter des travaux[5] ou encore pour reprendre l’exploitation d’un fonds de commerce comme en l’espèce.

III –

L’application de ce texte reste cohérente. En effet, toute clause résolutoire demeure soumise à la réglementation statutaire pour toute infraction, il est alors logique que le juge puisse en suspendre les effets également pour toute infraction.

Pour ordonner la suspension des effets de la clause résolutoire, le juge doit nécessairement et préalablement accorder des délais au preneur. Ainsi, le juge doit pouvoir suspendre les effets d’une clause résolutoire quel que soit le manquement du preneur.

La présente décision résulte ainsi d’une lecture combinée des articles susvisés.


[1] Civ. 3ème, 25 novembre 1975

[2] Civ. 3ème, 9 décembre 1980

[3] Com. 6 janvier 1961

[4] Civ. 3ème, 3 juin 2021, n° 20-14.677

[5] Civ. 3ème, 26 septembre 2021

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