SOURCES :
Après les condamnations de Suez Environnement à Soissons, de Veolia à Bourges et de la régie Noréade à Valenciennes pour coupures d’eau illégales, , Le Conseil constitutionnel a été saisi le 25 mars 2015 par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par le groupe Société d’Aménagement Urbain et Rural (Saur), relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de la dernière phrase du troisième alinéa de l’article L. 115-3 du code de l’action sociale et des familles[1] :
« Du 1er novembre de chaque année au 15 mars de l’année suivante, les fournisseurs d’électricité, de chaleur, de gaz ne peuvent procéder, dans une résidence principale, à l’interruption, y compris par résiliation de contrat, pour non-paiement des factures, de la fourniture d’électricité, de chaleur ou de gaz aux personnes ou familles. Les fournisseurs d’électricité peuvent néanmoins procéder à une réduction de puissance, sauf pour les consommateurs mentionnés à l’article L. 337-3 du code de l’énergie. (…) Ces dispositions s’appliquent aux distributeurs d’eau pour la distribution d’eau tout au long de l’année.»
Si cette dernière phrase, introduite par la loi n°2007-290 du 5 mars 2007, préexistait à la loi n°2013-312 du 15 avril 2013, la réforme a modifié la situation des distributeurs d’eau :
en leur interdisant toute rupture d’approvisionnement en eau par résiliation du contrat,
et en portant le nombre de foyers pouvant bénéficier d’un maintien de la fourniture d’eau, c’est-à-dire la famille ou la personne « éprouvant des difficultés particulières, au regard notamment de son patrimoine, de l’insuffisance de ses ressources ou de ses conditions d’existence, et bénéficiant ou ayant bénéficié, dans les douze derniers mois, d’une décision favorable d’attribution d’une aide du fonds de solidarité pour le logement », à la totalité des foyers.
Cette disposition interdit ainsi, tout au long de l’année, de procéder, dans une résidence principale, à l’interruption de la fourniture d’eau pour non-paiement des factures.
Le moyen principal de « pression » des compagnies distributrices de l’eau se trouvait ainsi réduit à peau de chagrin.
La société requérante faisait valoir qu’en adoptant ces dispositions, le législateur a porté une atteinte excessive, d’une part, à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre et, d’autre part, aux principes d’égalité devant la loi et les charges publiques, dès lors que les sociétés distributrices d’électricité et de gaz ne se voient pas imposer d’interdiction comparable.
Le Conseil constitutionnel a écarté ces griefs.
S’agissant de la liberté d’entreprendre et de la liberté contractuelle, il a rappelé que le législateur peut les limiter en raison notamment d’exigences constitutionnelles et à condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi. Or en l’espèce,
L’accès à l’eau est un des critères du logement décent, et la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle ;
La disposition contestée est une dérogation à l’exception d’inexécution du contrat de fourniture d’eau qui ne prive pas le fournisseur des moyens de recouvrer les créances correspondant aux factures impayées ; de sorte que l’atteinte à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre qui résulte de l’interdiction d’interrompre la distribution d’eau n’est pas manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi par le législateur.
S’agissant de l’atteinte aux principes d’égalités devant la loi et les charges publiques, le Conseil constitutionnel fait litière de l’argument développé, en rappelant simplement que les distributeurs d’eau ne sont pas placés dans la même situation que celles des distributeurs précités.
Ceux qui ne s’acquittent pas de leur facture d’eau par choix, et non par dépit, ne s’en tireront cependant pas à si bon compte, dès lors que l’ire des distributeurs d’eau a été entendue par le législateur. Si le Sénat souhaitait distinguer les mauvais payeurs intentionnels des ménages en difficultés, et permettre aux distributeurs d’interrompre la fourniture en eau des premiers, cette volonté revenait sur un acquis important de la loi Brottes, du 15 avril 2013.
Un compromis a donc été trouvé par l’Assemblée nationale : au dernier état des travaux parlementaires, transmis au Sénat le 27 mai 2015, et qui fera une seconde fois l’objet de discussions le 30 juin prochain, la phrase suivante est destinée à compléter l’article querellé :
« [les distributeurs d’eau] peuvent procéder à une réduction de débit, sauf pour les personnes ou familles mentionnées au premier alinéa du présent article. »
Vivaldi-chronos ne manquera pas de revenir vers vous dès la publication du texte adopté par le Sénat.
Sylvain VERBRUGGHE
Vivaldi-Avocats
[1] Cf communiqué de presse de la décision