SOURCE : Arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 30 septembre 2020, n°19-12.058, FS. P+B+R+I
La salariée d’une marque de prêt à porter a publié sur son compte Facebook personnel, la photographie de la nouvelle collection qui avait été présentée exclusivement aux commerciaux de la société.
L’employeur ayant eu connaissance de cette publication par l’intermédiaire d’une autre salariée de l’entreprise, a immédiatement procédé au licenciement de la salariée pour faute grave, laquelle était caractérisée par un manquement à l’obligation contractuelle de confidentialité pour divulgation de données confidentielles.
La salariée a contesté son licenciement, invoquant la violation du droit au respect de sa vie privée, son employeur n’étant pas autorisé à accéder au contenu de son compte Facebook.
Après avoir été déboutée en appel, elle se pourvoit en cassation en faisant valoir :
Que la preuve des faits invoqués ne lui était pas opposable dans le cadre de la procédure disciplinaire, ces derniers se rapportant à un compte Facebook privé, non accessible à tout public mais uniquement aux personnes qu’elle avait accepté de voir rejoindre son réseau ;
Que l’employeur ne peut porter une atteinte disproportionnée et déloyale au droit au respect de la vie privée du salarié ; dès lors, il ne peut s’immiscer abusivement dans les publications du salarié sur les réseaux sociaux.
I – Sur la loyauté de la preuve
Le principe de loyauté dans l’administration de la preuve, implique que l’employeur ne peut recourir à des stratagèmes (faux clients[1], lettre piégée, etc..). L’article L. 1222-4 du Code du travail oblige l’employeur de porter préalablement à la connaissance du salarié de la mise en place d’un dispositif technique de surveillance.
Ainsi, il résulte des faits d’espèce que l’employeur a pris connaissance de la publication litigieuse par l’intermédiaire d’une salariée de l’entreprise, « amie » de la salariée fautive, laquelle était donc autorisée à avoir accès au compte Facebook.
La Cour de cassation fait référence dans son arrêt aux principes généraux du droit de la preuve qui proscrivent les manœuvres déloyales destinées à se procurer des preuves auxquelles on ne devrait pas avoir normalement accès, validant ainsi le raisonnement de la cour d’appel.
L’appréciation du procédé d’obtention de la preuve et de sa loyauté relève d’ailleurs du pouvoir des juges du fond.
Sur ce point, la Cour de cassation[2] avait jugé déloyale l’obtention des informations figurant sur le compte Facebook d’un salarié au moyen du téléphone d’un autre salarié autorisé à y accéder, quand bien même ce téléphone est professionnel et que les informations sont extraites par constat d’huissier.
A contrario, la cour d’appel de Rouen[3], qui avait déjà jugé que l’employeur ne peut pas être considéré comme ayant eu accès à des informations de manière déloyale s’il produit des captures d’écran du compte Facebook d’un salarié réalisées par une personne habilitée à consulter ce compte et qui les lui a spontanément transmises.
Si en matière prud’homale, la preuve est libre, encore faut-il qu’elle soit loyale.
Ici l’employeur n’a pas eu recours à un faux compte Facebook, ni n’a sollicité des collègues et « ami » de la salariée pour obtenir la communication des captures d’écran, l’information lui ayant été spontanément livrée, il n’en a fait qu’usage.
La preuve obtenue sans stratagème est recevable bien qu’il soit porté atteinte aux droits fondamentaux du salarié, l’important était le mode d’obtention de la preuve par l’employeur.
II – Sur les conditions d’atteinte à la vie privée
La Cour de cassation a admis depuis longtemps que le salarié conserve le droit de voir sa vie privée respectée sur son lieu de travail, le fait qu’il exécute son contrat de travail ne le privant pas de ce droit.
La Cour de cassation a ainsi développé une jurisprudence permettant la protection des intérêts de l’entreprise, fondés sur les fautes du salarié commises en dehors de la sphère professionnelle mais perturbant le bon fonctionnement de l’entreprise, ou encore en autorisant les licenciements disciplinaires du salarié en présence de faits se rattachant à la vie de l’entreprise ou à la vie professionnelle du salarié, ou portant atteinte à l’obligation de loyauté.
Dans l’arrêt commenté, il n’a pas été débattu du caractère privé ou non de la publication de la nouvelle collection.
En effet, bien que l’information concerne une donnée professionnelle appartenant donc à l’entreprise, le support est quant à lui privé. La Cour de cassation admet qu’en se fondant sur cet élément, l’employeur a porté atteinte à la vie privée de la salariée.
Toutefois, forte de son contrôle de proportionnalité, la Chambre sociale de la Cour de cassation consacre par cet arrêt le droit à la preuve, considérant comme la Cour Européenne des Droits de l’Homme[4] avant elle, qu’une atteinte à la vie privée peut être justifiée par l’exigence de protection des droits de la défense.
Sur le fondement des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et des articles 9 du Code civil et 9 du Code de procédure civile, la Haute Juridiction assène :
« que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi »
Nul doute que ce principe trouvera rapidement application dans de nombreux contentieux.
En l’espèce, l’employeur ne disposait que de cette publication pour justifier la divulgation d’information confidentielle et donc le fondement de la procédure de licenciement.
S’agissant du but poursuivi, la cour d’appel l’a caractérisé comme étant la défense de l’intérêt légitime de l’employeur de la confidentialité de ses affaires.
Nous sommes ici, dans le cas d’un manquement grave de la salariée à son obligation de confidentialité, laquelle découle de son obligation de loyauté inhérente à son contrat de travail.
On peut se demander si une telle atteinte à la vie privée serait fondée dans le cadre de publication dénigrant l’employeur, l’entreprise, son responsable que ces messages soient publics ou tenus dans le cadre d’une messagerie électronique personnelle, comme c’est le cas dans beaucoup d’entreprise.
Dans pareil cas, l’employeur devra démontrer les conditions la réunions des conditions posées par l’arrêt commenté afin de faire prévaloir le droit à la preuve sur les droits et libertés individuelles du salarié.
[1] Cass. Soc. 19 novembre 2014, n°13-18749
[2] Cass. soc. 20 décembre 2017 n° 16-19.609
[3] CA Rouen 26 avril 2016 n°14/03517
[4] CEDH 10 octobre 2006 n°7508/02 et CEDH 13 mai 2008 n°65097/01