Source : 3ème civ, 12 septembre 2019, n°18-18218, Inédit
Le litige qui opposait bailleur et preneur était on ne peut plus classique. Les parties étaient en fin de bail et le bailleur envisageait d’autres dispositions pour son immeuble, ce qui supposait que celui-ci (ce qu’il a fait) notifie à son preneur, le 23 mars 2012, un congé sans offre de renouvellement mais avec offre d’indemnité d’éviction qui sera évaluée le 17 janvier 2013, à dire d’expert, à la somme 773.000 €.
Le bailleur, qui n’entendait ni acquitter une telle somme ni abandonner ses projets initiaux, semble s’être décidé à laisser le preneur avancer dans ses opérations liquidatives et de fermeture d’établissement puis, au dernier moment, c’est-à-dire juste avant que le processus de départ des lieux du preneur soit considéré comme irréversible au sens du droit prétorien, à exercer son droit de repentir. Bien qu’elle oblige le bailleur à supporter tous les frais au sens de l’article L145-58 du Code de commerce,
« Le propriétaire peut, jusqu’à l’expiration d’un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle la décision est passée en force de chose jugée, se soustraire au paiement de l’indemnité, à charge par lui de supporter les frais de l’instance et de consentir au renouvellement du bail dont les conditions, en cas de désaccord, sont fixées conformément aux dispositions réglementaires prises à cet effet. Ce droit ne peut être exercé qu’autant que le locataire est encore dans les lieux et n’a pas déjà loué ou acheté un autre immeuble destiné à sa réinstallation. »,
une telle entreprise – audacieuse mais dangereuse – peut s’avérer « payante » lorsque la désorganisation de l’activité du preneur l’oblige finalement à renoncer au renouvellement ou l’amène à la table des négociations.
Dans l’espèce commentée, le preneur saisit le tribunal le 11 avril 2013 d’une demande de paiement de l’indemnité d’éviction, engage le processus de licenciement de ses salariés le 25 avril, cesse l’approvisionnement du magasin le 25 mai, propose des solutions de reclassement à ses salariés les 31 mai et 11 juin et sollicite de la préfecture une autorisation de fermer l’établissement le 5 juin 2013, qui sera obtenue le 6 juin à effet au 1er juillet.
C’est dans ce contexte que le bailleur fait signifier le 5 juin 2013 par acte d’huissier son droit de repentir, en indiquant qu’il souhaite toutefois la substitution de la clause recette du bail par une clause de loyer fixe dans le bail renouvelé.
Pour le preneur, la demande de modification du bail entraine la nullité du droit de repentir.
La Cour d’appel de RENNES n’est pas de cet avis. Elle considère que la proposition d’une modification des conditions du bail, même sur les modalités de fixation du loyer, n’est pas interdit, mais oblige seulement les parties à saisir le tribunal de la difficulté, lequel ne relèverait que son impossibilité de modifier les clauses du bail.
Les juges rennais valident en conséquence le droit de repentir, y ajoutant que le preneur « n’avait pas engagé dans un processus irréversible de départ des lieux rendant impossible la continuation de son exploitation et de nature à faire obstacle à l’exercice du droit de repentir par la bailleresse ».
L’arrêt est logiquement cassé par la Cour de cassation, qui rappelle que le repentir ne peut jamais être conditionnel.
On se souviendra à cet égard que les repentir conditionnels suivants ont été annulés :
Sous réserve d’un pourvoi en cassation[1] ;
Avec réserve d’exclusion d’une partie des lieux loués[2] ;
Aux conditions à fixer par expert, alors que le juge est toujours libre de ne pas homologuer l’avis de l’expert[3] ;
Le présent arrêt est une nouvelle illustration du principe.
[1] Trib TOULON, 25 mai 1970,
[2] Com, 22 mai 1964, Ann Loy 1965-112
[3] Com, 9 mars 1965, GP 28 mai