Contrairement à ce qu’une conception statutaire des baux commerciaux pourrait le faire croire, la forme écrite n’est pas consubstantielle aux baux à loyer en général. Aux termes d’un arrêt en date du 4 avril 2024, la Cour de PARIS reconnait au bénéfice du locataire commercial l’existence d’une convention verbale, qu’elle conditionne à des éléments probatoires classiquement identifiés par le droit prétorien.
SOURCE : CA PARIS, Ch. 5-3, 4 avril 2024, n°22/10921
I – La preuve du bail verbal
Contrairement à une idée bien ancrée, le bail commercial relève avant tout du principe du consensualisme : il se forme par le seul accord des parties[1].
Le bail commercial peut donc prendre n’importe quelle forme, le statut des baux commerciaux n’imposant pas l’écrit. Ainsi, comme le précise l’article 1714 du Code civil, le bail peut être verbal.
Ce principe du consensualisme, réaffirmé par les nouveaux articles 1109 et 1172 du Code civil, emporte une autre conséquence importante : un simple accord sur la chose louée, le loyer et la durée du bail[2], c’est-à-dire sur « les éléments essentiels à la convention », peut suffire à entrainer la formalisation du bail : il suffit de constater l’acceptation en tous points de l’offre.
Il n’en reste pas moins, que l’écrit est préférable pour des raisons de preuve[3], pour respecter les différentes obligations d’information et d’annexes du bailleur, pour fixer les obligations respectives des parties, ou encore pour des raisons de publicité foncière.
Les modes de preuve du bail verbal sont fixés par les articles 1715 et 1716 du Code civil, et différent selon que le contrat a reçu ou non un commencement d’exécution. Ces règles ne sont applicables qu’aux rapports entre les cocontractants, les tiers pouvant rapporter la preuve du bail par tous moyens.
Lorsque le bail verbal n’a pas commencé à être exécuté, la preuve de son existence ne peut être reçue par témoins, même si le montant des engagement souscrits est modique (Cf article 1715 du Code civil).
La preuve de l’existence d’un bail ayant reçu un commencement d’exécution peut être faite par tous moyens (Cf article 1715 du Code civil), et les juges apprécient souverainement les éléments de preuve produits.
Ainsi, ont été retenus suffisants pour prouver l’existence et l’exécution d’un bail verbal :
- La présence d’une personne à l’établissement de l’état des lieux d’entrée, sa domiciliation dans les lieux, la souscription d’une police d’assurance ainsi que l’abonnement et la consommation d’une ligne téléphonique[4] ;
- L’occupation des lieux accompagnée du paiement du loyer pendant plus de quatre ans[5].
A l’inverse, la seule occupation des lieux ou l’encaissement de sommes d’argent ne suffisent pas à caractériser, à elles seules, l’existence d’un bail verbal. Il faut encore caractériser de façon non équivoque, l’intention des parties à travers d’autres circonstances comme : la durée de l’occupation, l’acceptation non équivoque par le bailleur de l’occupant à titre de locataire, la production de quittances de loyers[6].
Enfin, la conclusion d’un bail commercial verbal suppose l’accord des parties sur la chose, le prix, et la durée du bail[7], l’occupation des lieux non accompagnée du paiement d’un loyer ne pouvant caractériser l’existence d’un bail commercial verbal[8].
II – Illustration jurisprudentielle : CA PARIS, Ch. 5-3, 4 avril 2024
Aux termes d’un arrêt en date du 4 avril 2024, la Cour d’appel de PARIS avait à trancher l’existence d’un bail commercial verbal entre une SASU et l’établissement public AP-HP, portant sur un garage situé en fonds de cour mis gratuitement à la disposition du locataire (seules les charges afférentes au local étant dues), en sus de l’occupation des locaux principaux.
Confronté au refus de l’établissement public AP-HP d’entériner par écrit l’adjonction au bail principal de la surface complémentaire, la SASU avait assigné ce dernier aux fins de formalisation amiable ou forcée, d’un avenant conforme d’adjonction de la surface litigieuse.
Après avoir dans sa décision, identifié les éléments essentiels au bail verbal : (i) la chose louée – le garage – (ii) le prix – gratuit hors les charges afférentes au local -, et (iii) sur la durée du bail – durée de la convention verbale calquée sur la durée du bail commercial -, la Cour relève que le bail litigieux a reçu un début d’exécution par l’occupation des locaux, sur autorisation de la représentante de l’établissement public AP-HP, en contrepartie notamment de la réalisation de travaux.
La Cour relève enfin, que la signature d’un contrat écrit ou d’un avenant d’adjonction de surfaces au bail, n’a jamais été évoquée aux termes des différentes échanges électroniques entre les parties au titre de la validité de l’engagement conclu, mais uniquement sur le seul plan de la sécurité juridique.
Par ailleurs, cette insécurité juridique liée à l’absence de formalisation de la convention verbale, rendant précaire l’occupation et l’exploitation des locaux, justifie que soient alloués au locataire des dommages et intérêts.
[1] Cf article 1113 du Code civil : « Le contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager. Cette volonté peut résulter d’une déclaration ou d’un comportement non équivoque de son auteur » et article 1114 : « L’offre, faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation. A défaut, il y a seulement invitation à entrer en négociation ».
[2] En ce sens, Cass. civ 3ème, 28 octobre 2009, n°08-20224, FS – PB
[3] Cf article 1715 du Code civil
[4] En ce sens, Cass. civ 3ème, 18 juillet 2000, n°98-23133, Inédit
[5] En ce sens, Cass. civ 3ème, 29 avril 1997, n°93-18928, Inédit
[6] En ce sens, Cass. civ 3ème, 29 novembre 1995, n°93-19340, Inédit
[7] En ce sens, Cass. civ 3ème, 28 octobre 2009, n°08-20224, FS – PB
[8] En ce sens, Cass. civ 3ème, 4 mars 2008, n°07-15522, Inédit