Repêcher n’est pas revendiquer

Thomas LAILLER
Thomas LAILLER

Source : Cass. com. 3 avril 2019 n°18-11.247, FS-P+B+R

 

I – Le principe

 

L’article L.624-9 du Code de commerce précise que le propriétaire d’un bien détenu par une entreprise faisant l’objet d’une procédure collective doit le revendiquer dans les trois mois de la publication du jugement ouvrant la procédure.

 

II – L’espèce

 

Une société locataire d’une pelle hydraulique est mise en redressement puis en liquidation judiciaires. La pelle tombe dans un étang et son propriétaire l’en sort et en reprend possession. Lui reprochant de n’avoir pas exercé au préalable d’action en revendication de la pelle, le liquidateur judiciaire demande au propriétaire sa restitution en vue de son adjudication.

 

Une cour d’appel rejette cette demande et écarte l’application de l’article L. 624-9 du code de commerce qu’elle juge, dans ce contexte, contraire aux dispositions de la Convention européenne des droits de l’Homme protégeant le droit de propriété (protocole additionnel no 1, art. 1, al. 1).

 

Elle relève que le liquidateur judiciaire n’avait fait aucune démarche pour extraire le bien loué de l’étang, ce qui avait dégradé le moteur et que le bien loué n’avait pas été mentionné dans l’inventaire du patrimoine du débiteur conformément à l’article L.622-6 du Code de commerce ; dans ces conditions, l’atteinte au droit de propriété n’était justifiée ni pour permettre la sauvegarde de l’entreprise et le maintien de l’activité et de l’emploi, ni en vue de l’apurement du passif.

 

Le liquidateur judiciaire saisit la cour de cassation de la question

 

III – Le pourvoi en cassation

 

La Cour de cassation censure l’arrêt : la sanction de l’absence de revendication ne consiste pas à transférer le bien dans le patrimoine du débiteur mais à rendre le droit de propriété sur ce bien inopposable à la procédure collective, ce qui a pour effet d’affecter le bien au gage commun des créanciers et de permettre en tant que de besoin sa réalisation au profit de leur collectivité ou son utilisation en vue du redressement de l’entreprise, afin d’assurer la poursuite de l’activité, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif ; l’atteinte qui peut résulter de l’encadrement de la revendication aux conditions d’exercice du droit de propriété du créancier est prévue par la loi et se justifie par un motif d’intérêt général (déterminer rapidement et avec certitude les actifs de la procédure collective, afin qu’il soit statué dans un délai raisonnable sur l’issue de celle-ci, dans l’intérêt de tous) ; ne constitue donc pas une charge excessive pour le propriétaire l’obligation de se plier à la discipline collective inhérente à toute procédure collective, en jouissant des garanties procédurales que la loi lui assure quant à la possibilité d’agir en revendication dans un délai de forclusion de courte durée mais qui ne court pas contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir. En l’espèce, la cour d’appel n’avait pas caractérisé une atteinte disproportionnée au droit de propriété.

 

La Cour de cassation confirme sa position en ce qui concerne la conventionnalité de la procédure de revendication[1]. Elle avait déjà refusé de transmettre une QPC portant sur ce dispositif, estimant qu’il n’avait ni pour objet ni pour effet d’entraîner la privation du droit de propriété[2].

 

En l’espèce, la cour d’appel avait retenu l’existence d’une atteinte au droit de propriété en se livrant à une analyse concrète du contexte particulier de l’affaire. En cassant l’arrêt parce que ses motifs n’auraient pas caractérisé une telle atteinte, la Cour de cassation paraît ne pas rejeter toute appréciation concrète de ce contexte. Elle n’indique cependant pas les circonstances qui auraient pu conduire à retenir une telle solution.

 

La Haute Juridiction tempère cependant la sévérité de la solution en réservant le cas où le propriétaire du bien a été dans l’impossibilité d’agir en revendication, ouvrant ainsi la porte à une exception ou à une action en relevé de forclusion.

 

Mais pas pour cette fois, aussi injuste peut paraître cette décision à l’égard du créancier. « Dura lex, sed lex ».

 

[1] Cass. com., 1er avril 2014, no13-13.574 FS-PB

 

[2] Cass. com. QPC 7 mars 2017, no16-22.000 F-D

 

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