Droit de repentir et résiliation de bail : deux actions inconciliables

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

SOURCE : 3ème civ, 24 janvier 2019, n°17-11010, Inédit

 

La crainte de l’aléa judiciaire peut conduire les bailleurs à des actions malheureuses. La présente affaire en est la parfaite illustration.

 

Le propriétaire d’un immeuble dans lequel le locataire enfreignait la destination du bail (stockage de gravats et de déchets de chantiers alors que le bail n’autorisait que l’entreposage de matériel de démolition), lui délivre commandement de faire visant la clause résolutoire, par acte du 13 novembre 2008.

 

Le preneur n’ayant pas déféré aux causes du commandement dans le mois, le bailleur l’assigne en résiliation du bail et expulsion, mais sera débouté de sa demande par le premier juge.

 

Le bailleur interjette appel du jugement tout en estimant opportun, en cours d’instance, de délivrer congé avec refus de renouvellement pour motif grave et légitime, sans véritablement mesurer la porté de son acte.

 

En effet par un arrêt du 10 avril 2013, la Cour d’appel de Paris déboute le bailleur de son action en résiliation de bail, considérant que l’entreposage de gravats était inclus dans la destination du bail : Cette décision exposait ainsi le bailleur au risque de devoir s’acquitter, auprès du preneur, d’une indemnité d’éviction en cas de contestation du congé, départ du preneur et de rejet du pourvoi que le bailleur entendait interjeter contre l’arrêt.

 

C’est vraisemblablement dans ce contexte que le Bailleur, parallèlement au pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt confirmatif, exerce son droit de repentir par exploit des 20 et 23 septembre 2013.

 

Le pourvoi est accueilli favorablement par la Cour de cassation qui, par un arrêt du 14 octobre 2014, casse l’arrêt du 10 avril 2013, en reprochant aux juges du fond, au visa de l’article 1134 du Code civil, d’avoir dénaturé les termes clairs et précis de la clause de destination.

 

L’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel de Paris qui sera toutefois confrontée à un nouveau moyen du Preneur au titre de l’exercice, par le bailleur, de son droit de repentir, qui lui interdirait désormais de poursuivre la résiliation du bail.

 

La juridiction parisienne adoptera une position pragmatique, estimant que le Bailleur n’avait pu accepter de renouveler le bail alors que l’acte était résilié par l’effet de la clause résolutoire. Par un arrêt du 7 octobre 2016, elle constate ainsi la résiliation du bail et prononce l’expulsion du preneur. Sans doute la juridiction du fond avait-elle à cet égard quelques scrupules à débouter un justiciable d’une action que sa décision antérieure l’avait, de fait, amené à vicier.

 

Mais cette position juridiquement critiquable à la lecture stricte des articles L145-58 et L145-59 du Code de commerce ne résistera pas à la censure de la Cour de cassation, qui rappelle que l’exercice sans réserve du droit de repentir implique l’acceptation irrévocable du renouvellement du bail et donc, interdit la poursuite d’une instance en résiliation engagée avant l’exercice du droit.

 

Le bailleur pouvait-il alors faire usage d’un droit de repentir « avec réserve » pour s’extraire de ses difficultés ? Non, selon la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 9 mars 2011, affirmait que le droit de repentir exercé sous réserve d’un pourvoi en cassation, n’est d’aucun effet[1].

 

Le bailleur aurait ainsi dû en l’espèce, s’abstenir de délivrer congé, et espérer que le Preneur ne prenne pas l’initiative de délivrer une demande de renouvellement qui l’obligerait à se positionner sous trois mois…car dans ce cas, le refus de renouvellement exposerait le bailleur au risque d’un effet « boomerang » à évaluer.

 

[1] 3ème civ, 9 mars 2011, n° 10-10409

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