SOURCE : Arrêts de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation du 21 novembre 2018, nº 17-11.122, Publié au bulletin et du 5 décembre 2018, n°17-17.687.
Le droit d’agir en justice est fondamental, c’est pourquoi il est garanti dans la Constitution et les normes européennes.
Dans le premier cas d’espèce, un salarié avait écrit différents mails et menacé de saisir les tribunaux, dénonçant la dégradation de ses conditions de travail.
L’employeur, au sein de la lettre de licenciement reprochait au salarié, d’avoir dénigré à plusieurs reprises ses collègues et d’avoir menacé l’employeur d’entamer des procédures à l’encontre de la société.
Par suite le salarié saisi la juridiction prud’homale, afin d’obtenir la nullité de son licenciement au motif que son employeur a violé deux libertés fondamentales, la liberté d’expression et la liberté d’agir en justice.
La cour d’appel de Paris prononce la nullité du licenciement et ordonne la réintégration du salarié dans un emploi équivalent en matière de fonction, de responsabilités et de rémunération, en conséquence lui verser le montant des salaires entre la date de rupture du contrat jusqu’à la réintégration déduction faites des sommes versées à titre de revenus de remplacement.
L’employeur forme alors un pourvoi en cassation.
La Cour de cassation confirme la nullité d’un tel licenciement : « la seule référence dans la lettre de rupture à une procédure contentieuse envisagée par le salarié était constitutive d’une atteinte à la liberté fondamentale d’ester en justice entraînant à elle seule la nullité de la rupture », faisant fi des autres griefs.
Cette solution n’est pas nouvelle puisque la Chambre sociale, a eu l’occasion à plusieurs reprises de sanctionner par la nullité tout licenciement prononcé en représailles d’une action engagée par le salarié à l’encontre de son employeur[1].
L’innovation dans les récents arrêts réside dans le fait que le salarié n’avait pas encore engagé d’action en justice, celle-ci n’avait simplement été évoquée.
En conséquence la Haute Juridiction a modifié la rédaction de son attendu considérant au visa de l’alinéa premier du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 qu’ :
« est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale constitutionnellement garantie, le licenciement intervenu en raison d’une action en justice introduite ou susceptible d’être introduite par le salarié à l’encontre de son employeur […] ».
De même et conformément à sa jurisprudence, l’atteinte à une liberté fondamentale est un motif dit contaminant, de sorte qu’une fois constatée, le juge peut conclure à la nullité du licenciement, quand bien même les autres griefs invoqués à l’encontre du salarié seraient fondés.
Il est à noter que désormais, pour tout licenciement postérieur au 23 septembre 2017, le juge doit examiner le bien fondé des autres motifs et en tenir compte pour minorer le montant de l’indemnisation octroyée au titre de la nullité du licenciement.
S’agissant du pourvoi incident du salarié, ce dernier reprochait à la cour d’appel d’avoir déduit de son indemnité de réintégration, les revenus de remplacement dont il avait bénéficié. C’est sur ce point que l’arrêt est cassé.
Sur le plan indemnitaire, la Haute juridiction franchit une étape supplémentaire en reconnaissant expressément au salarié ayant demandé sa réintégration, le droit à une indemnisation à caractère forfaitaire, dont ne peuvent donc être déduits les éventuels revenus perçus dans l’intervalle.
Dans le second cas, un délégué syndical avait saisi la juridiction prud’homale afin de faire constater une inégalité de traitement ou une discrimination salariale. Un mois après sa saisine, il a été licencié pour insuffisance professionnelle, la lettre de licenciement ne faisant nullement mention de l’action engagée par le salarié.
La cour d’appel de Versailles avait considéré le licenciement comme nul et ordonné la réintégration du salarié, condamnant l’employeur à payer une indemnité déduction faite des revenus de remplacement perçus, confirmant ainsi la décision des premiers juges.
L’employeur avait alors formé un pourvoi en cassation, faisant valoir que la nullité du licenciement ne pouvait être retenue dans la mesure où le salarié avait été débouté de sa demande en inégalité de traitement. Le raisonnement consiste à considérer que l’action du salarié n’étant pas fondé, aucune atteinte à une liberté fondamentale ne peut être retenue.
L’employeur invoquait également qu’il appartenait aux juges du fonds de rechercher les véritables raisons du licenciement, sans que cette charge ne lui incombe spécialement.
La Chambre sociale ne poursuit pas ce raisonnement et précise qu’ « est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale le licenciement intervenu en raison d’une action en justice introduite par le salarié, peu important que la demande du salarié soit non fondée ».
En effet, seul l’abus ou la mauvaise foi du salarié seraient susceptibles d’emporter une exception à la nullité du licenciement pour violation d’une liberté fondamentale.
La Cour de cassation rappelle également qu’il appartient à l’employeur d’établir que sa décision de licencier le salarié était justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner l’exercice, par le salarié, de son droit d’agir en justice, ce qui en l’espèce n’a pu convaincre les magistrats.
A défaut, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, mais pas seulement, il est également nul car fondé sur la violation du droit du salarié d’agir en justice.
[1] Cass. soc., 3 février 2016, nº 14-18.600