SOURCE : Cour de cassation, 10 novembre 2021, N° 21.11.975
I – De notoriété publique, non, l’associé n’est pas soumis à une obligation de non-concurrence, qu’il ait cette qualité ou qu’il la perde (cession, retrait, expulsion…).
Le droit prétorien considère même qu’il peut détenir des droits sociaux dans des sociétés directement concurrentes, sans même en informer ses associés et la société, dès lors qu’il ne concurrence pas ladite société déloyalement.
Son statut diffère très largement lorsque ledit associé est également dirigeant[1].
A posteriori, lorsqu’il décide de quitter ses associés, et sauf précisions contraires[2] (dans les statuts ou dans le pacte d’associé), il n’est, par principe, pas davantage soumis à une obligation de non-concurrence.
Toutefois attention !
En parallèle de la Liberté du Commerce et de l’Industrie, permettant à tout à chacun (notamment à l’ancien associé qui a cédé ses titres), de librement entreprendre, exploiter, ou concurrencer ; les juges du Quai de l’Horloge considèrent comme applicable la garantie d’éviction de droit commun, prévue à l’article 1625 du Code Civil.
La garantie d’éviction bénéficie à l’acquéreur, elle a objet de lui assurer la possession paisible de la chose après délivrance de celle-ci. Il se voit ainsi assuré de jouir de son nouveau bien, sans être atteint dans son droit de propriété.
Applicable en principe à tous vendeurs de droit commun, le droit prétorien a d’ores et déjà considéré qu’elle pouvait être mise à la charge de tous cédants d’un droit de propriété, qu’il soit corporel ou incorporel[3].
La jurisprudence a ainsi eu l’occasion d’appliquer la garantie d’éviction aux cédants de droits sociaux, considérant que :
«la garantie légale d’éviction du fait personnel du vendeur n’entraîne pour celui-ci, s’agissant de la cession des actions d’une société, l’interdiction de se rétablir, que si ce rétablissement est de nature à empêcher les acquéreurs de ces actions de poursuivre l’activité économique de la société et de réaliser l’objet social »[4].
Les juges ne parlent pas « d’obligation de non-concurrence » littéralement qui serait mise à la charge de l’ancien associé, mais d’une interdiction de se rétablir qui se doit d’être proportionnée aux intérêts à protéger.
Ainsi, l’associé cédant qui empêcherait ses acquéreurs « de poursuivre l’activité économique de la société et de réaliser l’objet social » de la société dont il vient de céder les titres, peut se voir interdire de se rétablir.
C’est l’objet du présent arrêt.
II – Deux associés fondent ensemble une société d’édition de solutions informatiques (ci-après « la Société A »), qui a développé un logiciel spécifique de messagerie et de travail collaboratif. Le binôme cède ses actions à une société tierce (ci-après « la Société B »), concurrente sur le marché des prestations de services informatiques, et le binôme devient temporairement actionnaire de la Société B. Ils sont par ailleurs salariés de la société A, jusqu’au jour où leur collaboration générale prend fin (démission de la Société A /cession des actions de la Société B).
Une problématique apparait lorsque le binôme créé une nouvelle structure (ci-après « la Société C »), sur le même marché, pour proposer un produit concurrent.
La Société B, considérant que la nouvelle société créée lui cause préjudice en :
(i) débauchant l’essentiel de son personnel,
(ii) tout en détournant certains de ses clients,
(ii) Et en se réappropriant une partie du code source du logiciel susmentionné.
décide d’intenter un procès à leur encontre, en invoquant le manquement des cédants, à leur obligation née de la garantie d’éviction de droit commun.
La Société B sollicite auprès du juge, au titre de son préjudice :
– La restitution partielle de la valeur des actions de la Société A. En effet, la Société B considère que les actions cédées à son profit quelques années auparavant ont perdu de leur valeur.
– La réparation du préjudice subi (perte de chiffre d’affaires/ perte de chance) par le versement d’une indemnisation.
– Et que leur soit interdit d’exercer tout acte de concurrence visant la clientèle cédée à travers la cession des actions de la Société A.
La Cour de cassation rappelle :
« Vu les principes de la liberté du commerce et de l’industrie et de la liberté d’entreprendre et l’article 1626 du code civil :
7. Il se déduit de l’application combinée de ces principes et de ce texte que si la liberté du commerce et la liberté d’entreprendre peuvent être restreintes par l’effet de la garantie d’éviction à laquelle le vendeur de droits sociaux est tenu envers l’acquéreur, c’est à la condition que l’interdiction pour le vendeur de se rétablir soit proportionnée aux intérêts légitimes à protéger ».
Il existe donc une limite à la liberté de rétablissement de l’ancien associé, soumise à l’appréciation des juges eu égard à son caractère proportionné.
Pour autant, les juges suprêmes reprochent à la Cour d’Appel de ne pas avoir « recherché concrètement si, au regard de l’activité de la société dont les parts avaient été cédées et du marché concerné, l’interdiction de se rétablir se justifiait encore au moment des faits reprochés ». ils renvoient donc l’affaire devant une autre Cour d’appel, amenée à apprécier la proportionnalité de la restriction.
En conclusion, l’arrêt s’inscrit dans la stricte orthodoxie des règles applicables à la garantie d’éviction en matière de cessions d’actions, en s’attardant à rechercher la proportionnalité adéquate entre les différentes règles applicables (Liberté de Commerce et garantie d’éviction).
III – Sans reconnaitre une stricte obligation de non-concurrence à la charge de l’ancien associé, la Cour de cassation confirme la possibilité de restreindre la liberté d’entreprendre de ce dernier si cette restriction est limitée et proportionnée à l’objectif à protéger.
[1] Cass, Com, 15 novembre 2011, N° 10-15.049
[2] Cass, Com, 3 mars 2015, N°13.25.237)
[3] Civ, 1ère, 7 avril 1998, N°96-13.292
[4] Com. 21 janvier. 1997, n° 94-15.207