Garantie d’éviction due par le cédant de droits sociaux : quid de sa responsabilité s’agissant des propos tenus par ses salariés ?

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

SOURCE : Cour de cassation,  Chambre commerciale 16 mars 2022, N°21.10.239 – F-D

Si la garantie d’éviction fait régulièrement l’objet d’étude sur Vivaldi Chronos, article disponible ici, c’est parce que les juges en dessinent régulièrement le contour.

La garantie d’éviction ne constitue évidemment pas une obligation de non-concurrence pour l’associé cédant, mais a vocation à assurer à l’acquéreur, une possession paisible de la chose après délivrance de celle-ci. Ce dernier se voit donc protégé dans son droit de propriété fraichement acquis.

Prévue par les dispositions des articles 1625 et suivants du Code civil, la garantie légale d’éviction (i) s’applique à tous vendeurs de droit commun, et donc par voie de conséquence, aux cession de droits sociaux.

Deux garanties se distingue :

  Garantie du fait personnel

  Garantie du fait des tiers.

La garantie du fait personnel est d’ordre public, nulle clause ne peut l’écarter. Le cédant y est tenu, même sans clause particulière prévue dans l’acte de cession.

En effet l’article 1626 du Code civil prévoit :

« Quoique lors de la vente il n’ait été fait aucune stipulation sur la garantie, le vendeur est obligé de droit à garantir l’acquéreur de l’éviction qu’il souffre dans la totalité ou partie de l’objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente. »

Elle permet de garantir l’acquéreur contre les troubles de fait ou de droit. Elle est imprescriptible, puisque transmissible aux héritiers du vendeur.

A contrario, la garantie du fait des tiers est limitée aux troubles menaçant l’acheteur d’une éviction totale ou partielle, mais dont la cause serait antérieure à la vente.

Néanmoins, au regard de la liberté contractuelle, la garantie d’éviction peut également être conventionnelle (ii), c’est à dire prévue par les parties, par des conventions particulières, permettant d’étendre la garantie légale d’éviction en faveur de l’acheteur, ou de la restreindre (art. 1627 du Code civil), voire de l’écarter en matière de garantie du fait des tiers. Pour rappel, la garantie du fait personnel est d’ordre public.

Si le droit prétorien est d’ores et déjà intervenu pour préciser qu’une telle garantie d’éviction, légale ou conventionnelle, doit être proportionnée aux intérêts à protéger[1], pour ne pas entrer en opposition directe avec la Liberté du Commerce et de l’Industrie prévue en France, permettant à tout à chacun de librement entreprendre, exploiter, ou concurrencer autrui, aujourd’hui une nouvelle limite semble se dégager du cas d’espèce.

Les juges se sont posés la question de l’étendue de cette garantie d’éviction : s’applique-t-elle d’office aux salariés du cédant ?

Le cédant est-il responsable, sur le fondement de la garantie d’éviction, des propos tenus par ses nouveaux salariés à l’encontre de la société cédée ? Peut-il faire l’objet de reproches lorsque ceux-ci ont un comportement préjudiciable à l’acheteur ?

En l’espèce, l’associé et Directeur général d’une SAS, décide d’en céder ses titres, et simultanément, de démissionner de ses fonctions.

Quelques années après la cession, il devient dirigeant d’une holding, dont il détient 100% du capital, société mère d’une nouvelle société constituée en concurrence avec la société cédée.

A l’origine de ce contentieux, des nouveaux salariés, directement employés par la société fille, tiennent des propos dénigrants sur la société cédée préalablement, directement auprès des salariés de celle-ci.

Mécontent des propos tenus constituant à son sens une violation de la garantie d’éviction, s’ajoutant à des actes de concurrence déloyale, l’acquéreur de la société cédée assigne son cédant pour obtenir juste réparation.

Il invoquait l’argument selon lequel les actes ont été commis par les salariés de la société fille, sous le contrôle directe de M.X, personne physique cédante, entrant ainsi directement en violation avec l’article 1626 sus-évoqué.

Débouté par les deux juridiction du fond, l’acquéreur se pourvoit vainement en cassation.

La Haute Cour déboute le demandeur au pourvoi, considérant qu’il ne démontrait pas effectivement que la responsabilité des propos dénigrants était imputable directement à son cédant.

Ainsi, à défaut de justifier d’une faute personnelle, sa responsabilité ne peut être retenue :

« 6. Si c’est à tort que la cour d’appel a érigé en principe que des propos tenus par des salariés d’une société aux salariés d’une entreprise concurrente, à les supposer jetant le discrédit sur leur employeur, ne peuvent être constitutifs de dénigrement faute d’être destinés à la clientèle, néanmoins, l’arrêt retient, par motifs adoptés, qu’il incombe à la société SCT, sur le fondement de l’article 1240 du code civil, de justifier de la faute personnelle de chacune des sociétés mises en cause, que la responsabilité de la société Voip de son fait personnel n’est pas établie et que la responsabilité du fait de ses filiales ne peut se concevoir qu’en cas d’immixtion dans la gestion et la politique commerciale de ces dernières, ce que la société SCT ne démontre pas. Par ces seuls motifs, dont elle a déduit que la société SCT n’apportait pas la preuve d’agissements fautifs imputables à chaque société poursuivie, la cour d’appel a légalement justifié sa décision. »

Cela en aurait été toutefois autrement, si les demandeurs avaient réussi à démontrer que le cédant avait lui-même organisé le dénigrement de la société cédée auprès de ses salariés, ce qui n’était donc manifestement pas le cas.

[1] http://vivaldi-chronos.com/transmission-d-entreprise/lassocie-cedant-est-il-soumis-a-une-obligation-de-non-concurrence/

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