Plafonnement des indemnités prud’homales de licenciement : lorsque les Juges du fond font de la résistance au barème.

Christine MARTIN
Christine MARTIN - Avocat associée

SOURCE : Décision du Conseil des Prud’hommes de TROYES du 13 décembre 2018, n° 18/00036.

 

Un salarié a été embauché en contrat à durée indéterminée en date du 03 mars 2015 par une société d’événementiel en qualité de chargé de développement.

 

Un avenant au contrat de travail a ensuite été signé le 15 mars 2016 prévoyant le paiement d’un 13ème mois de salaire et un salaire mensuel de 3 700 € bruts pour un temps plein à compter du 1er janvier 2017.

 

L’entreprise va être cédée le 28 juin 2017 et à la suite de cette cession, le salarié va faire l’objet d’une mise au placard progressive et être confronté au défaut de paiement de ses salaires.

 

Par suite, il va saisir le Conseil des Prud’hommes le 12 février 2018 d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

 

Le salarié va finalement se voir notifier son licenciement pour motif économique par un courrier du 28 février 2018 à la suite duquel il va adresser à son employeur, en date du 12 mars 2018, un courrier afin de lui demander des précisions sur le motif économique et les critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements, ledit courrier étant resté sans réponse de l’employeur.

 

Au soutien de sa demande d’indemnisation, le salarié va faire valoir que les barèmes adoptés par la réforme du Code du Travail par Ordonnance du 22 septembre 2017, introduisant dans les dispositions de l’article L.1235-3 du Code du Travail un plafonnement des indemnités en fonction de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise, sont contraires à la Charte sociale européenne et à la convention n° 158 de l’OIT.

 

Bien lui en prit puisque, faisant sienne l’argumentation du salarié, le Conseil des Prud’hommes de TROYES, dans son Jugement du 13 décembre 2018 :

 

– soulignant que la Cour de Cassation a établi que la convention n° 158 était directement applicable et a souligné la nécessité de garantir qu’il soit donné pleinement effet aux dispositions de la convention,

 

– et relevant que la Charte sociale européenne du 03 mai 1996 a été ratifiée par la France le 07 mai 1999, soulignant que le Comité Européen des Droits Sociaux, organe en charge de l’interprétation de la Charte, s’est prononcé sur le sens devant être donné à l’indemnité adéquate et à la réparation appropriée dans sa décision du Comité du 08 septembre 2016,

 

décide en conséquence que l’article L.1235-3 du Code du Travail en introduisant un plafonnement limitatif des indemnités prud’homales, ne permet pas au Juge d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer, de manière juste, le préjudice qu’ils ont subi, et considère que ce barème sécurise davantage les fautifs que les victimes et sont donc inéquitables.

 

En conséquence, le Conseil des Prud’hommes de TROYES juge les barèmes fixés par l’article L1235-3 du Code du travail comme inconventionnels en ce sens qu’ils violent la Charte Sociale Européenne et la Convention n° 158 de l’OIT.

 

Par suite, le Conseil s’affranchit du barème en fixant le montant des indemnités sans cause réelle et sérieuse allouées au salarié à une indemnité correspondant à 9 mois de salaires à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors que l’application du barème résultant de l’article L.1235-3 du Code du Travail aurait conduit à fixer ces indemnités à 4 mois de salaires au regard de l’ancienneté du salarié.

 

Compte tenu des arguments au soutien de la contestation du plafonnement, il est bien évident que la position des Juges d’Appel et surtout de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation sur le sujet sont très attendues pour savoir si le plafonnement des indemnités pourra être véritablement remis en cause.

 

Il est à noter que le Conseil des Prud’hommes du MANS, pour sa part, dans une décision en date du 26 septembre 2018, a considéré que l’article L.1235-3 du Code du Travail était conforme aux 2 textes internationaux susvisés.

 

En attendant la prise de position de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation, nul doute que les décisions des divers Conseils de Prud’hommes de France intervenant sur ce point seront scrutées avec la plus grande attention par les justiciables et leurs conseils.

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